La remise de 15 centimes à la pompe est une mesure inéquitable et peu efficace pour le pouvoir d'achat et encore moins pour l'environnement. Mesure très coûteuse comme l'explique Justin Delépine dans Alternatives économiques du 23 mars 2022.
Remise de 15
centimes à la pompe : une mesure qui profite d’abord aux riches
23 mars 2022 Alternatives
économiques
Et une remise de plus
pour répondre à la crise des prix de l’énergie ! Face à un tarif du litre
de l’essence ou du diesel franchissant le seuil symbolique des 2 euros, le
Premier ministre Jean Castex a annoncé
le 12 mars une remise de 15 centimes. Ainsi dès le 1er avril,
tous les automobilistes se verront appliquer cette remise au moment de régler
le plein, ce qui équivaut à une subvention de 9 euros pour un plein de
60 litres.
L’envolée des prix à
la pompe de ces dernières semaines est le résultat des anticipations de
possibles embargos sur les exportations russes d’hydrocarbures et plus
largement des tensions sur les marchés énergétiques provoquées par la guerre en
Ukraine. Le tout dans un contexte où, reprise économique post-Covid oblige, le prix du baril est déjà orienté à la hausse depuis près d’une
année. Toutefois, les évolutions du prix du baril dans les semaines à venir
restent incertaines tant les prix des hydrocarbures sont volatils.
En attendant, le
gouvernement a choisi de dégainer rapidement une mesure pour éviter qu’un
nouveau front social ne prenne de l’ampleur. Si le montant de 15 centimes
peut paraître faible, cette subvention, qui est annoncée pour durer quatre
mois, coûtera 2 milliards d’euros aux finances publiques.
A ce coût, il faut
l’ajouter à un ensemble de mesures prises depuis l’été dernier pour
contenir l’inflation énergétique. Blocage du prix du gaz, indemnité inflation, encadrement du tarif de l’électricité,
etc., la facture totale depuis octobre dernier s’élève déjà à près de
25 milliards d’euros selon les calculs du ministère de l’Economie. A titre
de comparaison, c’est l’équivalent du budget de ministère de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche.
Une facture de 2 milliards d’euros
Pour limiter
l’augmentation du prix à la pompe, un allègement général des taxes sur les
carburants avait d’abord été envisagé. En effet, que ce soit via la
TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) ou
la TVA, les taxes représentent les deux tiers du prix du carburant. Mais une
telle mesure n’aurait pas profité à certains professionnels qui n’y sont pas
soumis, comme les agriculteurs ou les pêcheurs.
Par ailleurs, la
remise de 15 centimes à la pompe a l’avantage d’être bien plus visible, un
avantage pour une mesure entrant en vigueur à quelques jours d’une élection
nationale.
Si la hausse du prix
de l’essence augmente les rentrées fiscales de l’Etat, celles-ci ne
compenseront pas le coût de cette remise de 15 centimes. Cette dépense
fiscale payée par l’ensemble de la collectivité est-elle pertinente et bien
calibrée ?
Tout comme le bouclier
tarifaire, cette remise ne fait l’objet d’aucun ciblage. Les ménages aisés ou
modestes, vulnérables ou peu exposés, vont tous en bénéficier.
Evidemment, tout le
monde n’a pas le même usage de la voiture. Les ruraux sont ainsi bien plus
exposés que les urbains à l’augmentation du prix à la pompe.
En matière de revenus,
les inégalités sont également criantes : les dépenses en carburant pour se
déplacer représentent près de 6 % du revenu disponible1 pour les 10 % les plus pauvres, contre
moins de 2 % pour le dixième de la population le mieux loti.
Mais les
automobilistes qui vont profiter davantage de cette remise de 15 centimes
sont ceux qui consomment le plus de carburant. Or, plus on est aisé, plus on a de voitures
et plus l’on roule avec. Selon les données de l’Insee, les 20 % les plus riches
dépensent en moyenne environ 1 400 euros par an en carburants contre
700 euros pour le cinquième le plus pauvre de la population. L’effort
financier consenti par l’exécutif ira donc majoritairement aux ménages aisés,
c’est ce que les statisticiens appellent une mesure
« anti-redistributive ».
Dépenses annuelles en
carburant pour le transport par déciles de revenus, en euros, et part dans le
revenu disponible, en %
Lecture : Pour le
1er décile, à savoir les 10 % les plus pauvres, les
dépenses en carburant pour les transports représentent 628 euros, soit
5,43 % de leur revenu disponible.
Source : Insee
Absence de ciblage
Et ce n’est
malheureusement pas son seul défaut. Alors que la crise actuelle rappelle
l’urgence de réduire la demande en pétrole, cette mesure n’incite pas à s’en
séparer.
L’or noir représente
toujours plus de 40 % de la consommation finale d’énergie en France, dont
la quasi-totalité est importée. Ce sont donc les puissances exportatrices qui
en profitent. Quand le prix du baril progresse, l’économie française se
retrouve étranglée, car ce qui est dépensé en carburant ne l’est pas pour autre
chose.
Répartition de la consommation finale d'énergie en France, en 2019
Source : SDES
Nous payons
aujourd’hui le peu d’actions des gouvernements successifs pour réduire cette
dépendance. Comme le rappelait l’économiste Aurélien Bigo
l’automne dernier :
« Les mécanismes de la politique de
transition énergétique se jouent sur du moyen-long terme, à plusieurs années ou
décennies, mais cela fait des années qu’on n’agit que très faiblement sur les
différents leviers de transition. Si lors des précédentes hausses des prix des
carburants, comme les chocs pétroliers, la crise de 2008 ou le mouvement des
gilets jaunes, les pouvoirs publics s’étaient dit qu’il est problématique de
dépendre à ce point du pétrole pour les déplacements et avaient agi en ce sens,
la dépendance serait moins importante aujourd’hui. »
Anti-redistributive,
nocive à terme pour l’économie française, et dangereuse pour le climat… la
remise de 15 centimes à la pompe a tous les défauts macro-économiques.
Reste à espérer que les décisions prises après les élections tiendront
davantage compte du temps long.
·
1.Le revenu disponible correspond aux revenus du travail
(salaire, traitement, etc.) et du capital (loyer, intérêts, dividendes) perçus
par les ménages auxquels on ajoute les prestations et on retranche les impôts
directs (impôt sur le revenu, etc.).
Justin Delépine
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