17 sept. 2011

Rigueur : la revanche de Friedman ?


A l’heure où les risques de faillite de la Grèce se précisent chaque jour davantage, la France et ses voisins annoncent, les uns après les autres, des plans de rigueur pour le moins drastiques. Tous agissent au fond comme si la confiance des marchés financiers en la solvabilité budgétaire des Etats était une sorte d’indicateur suprême, celui sur lequel il convient désormais de fonder toute politique économique. La perspective d’une dégradation de leur note paralyse des dirigeants européens en mal d’audace économique et qui voient en la surenchère des plans de rigueur leur seule planche de salut économique.


Le contentement immédiat des marchés prime sur toute stratégie de croissance à moyen et long terme et la sauvegarde du capital confiance que les agences de notations fondent en tel ou tel Etat membre de la zone euro, les pousse à fermer les yeux sur les risques, non moins réels, d’une seconde récession.

Dans un contexte où une récession chasse l’autre avant même que la croissance ait pu repartir, les enseignements de la crise de 2008 semblent oubliés. La surenchère des plans d’austérité en a rapidement éclipsé une autre : celle de l’automne 2008 où les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro se rependaient en déclarations de bonne volonté sur les thèmes de la régulation des marchés financiers et de l’encadrement des agences de notations. Tous expliquaient alors que le sauvetage des banques aurait pour contrepartie leur stricte régulation. En France, les revues économiques titraient sur la revanche de Keynes et même dans le monde politique on semblait moins perméable aux arguments des bienfaits de la dérégulation.

Depuis, les traders ont retrouvé leurs bonus, les spéculateurs leur cupidité et les banques leurs profits. Les Etats, quant à eux, se sont terriblement endettés pour sauver une finance à la dérive et une croissance atone.
Et voilà que les rescapés d’hier appellent aujourd’hui à l’austérité budgétaire sans même se soucier de la croissance de demain. Leur vision court-termiste précipite les Etats dans une spirale déflationniste dont aucun agent économique ne sortira indemne.
Par définition, la rigueur affaiblit la consommation, contrarie l’investissement et grippe l’effet multiplicateur des dépenses publiques. Elle casse durablement la croissance et prive les producteurs de débouchés suffisants.
Parallèlement, et alors même qu’elle pénalise durablement les agents économiques, la rigueur affaiblit l’Etat. Le rééquilibrage budgétaire oblige à des coupes dans les dépenses de fonctionnement, conduit à la réduction du nombre d’agents de l’Etat et entraine inéluctablement une baisse de la qualité des services publics.


La rigueur prive l’Etat de ses moyens d’actions. Plus grave, elle le pousse à livrer une partie de ses attributions à la sphère privée.
Enfin, la rigueur n’a qu’un effet limité sur les déficits qu’elle prétend enrayer dès lors que le ralentissement de l’activité économique qu’elle provoque réduit considérablement le volume des rentrées fiscales.
Naturellement, la réduction des déficits budgétaires à moyen terme est indispensable. Les Etats ne peuvent conserver indéfiniment des taux d’endettement élevés au point que la charge de la dette se hisse parmi leurs premiers postes de dépenses budgétaires. Mais la réduction des déficits ne peut être mise en œuvre efficacement que dans un contexte de croissance solide et stable.
L’Europe s’est engagée trop tôt dans le pari de l’austérité. Elle fait courir le risque d’étouffer la croissance et d’enliser l’économie dans un chômage de masse. Elle risque de précipiter son économie dans ce cercle vicieux où la rigueur appelle la rigueur.

A l’inverse, ce n’est qu’en pariant, comme le fait le Président B. Obama, sur une politique commune de croissance et de l’emploi, que les pays européens remettront les finances publiques en ordre et rétabliront la confiance financière. Le salut ne peut venir que du retour de la croissance et certainement pas en prenant le risque d’une austérité généralisée et installée dans le temps.
Mais l’Europe ne semble pourtant pas privilégier le chemin économique emprunté par les Etats-Unis. Plus qu’un choix économique, le choix de l’Europe est un choix politique, fondé sur ce postulat friedmannien que l’assainissement comptable de l’Etat est la condition sine qua non à la reprise de toute croissance durable. A admettre qu’il soit vérifié, ce modèle minore volontairement le coût, tant économique que social, de sa mise en œuvre.
Aujourd’hui l’Europe semble pourtant en suivre aveuglément les préconisations comme si elle voulait, à la manière de Milton Friedman en son temps, anesthésier l’Etat.