Tirer les économies
européennes par les salaires !
La
reprise économique en Europe qui s’est engagée en 2014 semblerait s’essouffler au
soixantième anniversaire de l’Union Européenne (25 mars 2017). La croissance du
PIB était de 1,6% en 2014, elle pourrait passer à 1,4% en 2017 et atteindre
1,3% en 2018. En effet les vents favorables qui avaient permis cette reprise
pourraient faiblir à cause de la remontée du prix du pétrole et du
ralentissement de la baisse de l’euro malgré la politique expansionniste de la
BCE. La remontée de l’investissement reste bien fragile encore aujourd’hui en
Europe malgré le plan Juncker, et parait bien insuffisante pour offrir du
travail à plus de seize millions de chômeurs.
Si la reprise
est toujours là, elle n’est pas suffisante pour retrouver le taux de chômage de
2007 sans qu’aucune nouvelle politique macroéconomique commune ne vienne
prendre le relais pour créer une dynamique européenne. La plupart des pays
européens de la zone euro ont choisi de tirer leur économie par les profits en
poursuivant des politiques de modération salariale pour gagner en
compétitivité. Un tel choix ne fait que gripper les moteurs de la croissance en
comprimant la demande intérieure. Les dix neuf pays, à défaut d’ajustement par
le taux de change, sont contraints de recourir à la dévaluation interne pour
relancer l’emploi et la croissance, ce qui ne fait qu’affaiblir davantage la
demande intérieure et contraindre les pays de la zone euro à rechercher la
croissance par des débouchés extérieurs. Or, chercher à tirer les économies
européennes par les profits plutôt que par les salaires est doublement risqué.
Dès lors que tous les pays de la zone euro mènent des politiques d’austérité
salariale en même temps et collectivement, les échanges extérieurs se
neutralisent car les exportations des uns sont les importations des autres.
Risqué aussi,
car le développement de la baisse des salaires ou le développement des emplois
précaires c'est-à-dire une baisse déguisée des salaires, creuse davantage les
inégalités comme en témoignent la hausse de la pauvreté et celle des disparités
de revenus qui se propagent en Europe. Le taux de pauvreté est passé dans la
zone euro de 16% en 2007 à 17,2% en 2015. Quant au coefficient de Gini mesurant
les inégalités des revenus, il est passé de 0,30 en 2007 à 0,38 en 2015. La
généralisation de la modération salariale finit par nuire à tous les pays
européens. D’un côté, permettant de rétablir les marges des entreprises, cette
modération améliore la profitabilité du capital productif et devrait inciter
les entreprises à investir. Mais de l’autre, contribuant à la baisse de la
demande intérieure, elle réduit le taux d’utilisation des capacités de
production des entreprises et freine l’investissement ainsi que la croissance.
A défaut de demande intérieure suffisante dans les économies dans lesquelles la
part des salaires diminue, les profits d’aujourd’hui ne font pas les
investissements de demain ni les emplois d’après demain. Dans ces conditions,
il devient plus rentable pour les chefs d’entreprise de placer leurs profits
sur le marché financier que d’investir dans l’économie réelle. L’entrepreneur
se transforme ainsi petit à petit en un rentier, ce qui affaiblit encore
davantage la croissance. Cette transformation enferme les économies dans un
cercle vicieux dans lequel : moins de croissance réduit les anticipations
de la demande des entrepreneurs, qui à leur tour réduisent les investissements
et conduisent à moins de croissance et plus de chômage. C’est pourquoi pour
sortir de cette spirale, il devient nécessaire d’augmenter simultanément les
salaires au sein de la zone euro et de faire converger cette hausse entre les
dix neufs pays afin de relancer l’emploi et la croissance. Les salaires ne sont
pas seulement un coût. Ils sont aussi un revenu qui sert de base à la dépense
de consommation autrement dit à la demande intérieure. Une relance coordonnée
des salaires favoriserait les échanges intra-européens représentant plus de 70%
des échanges extérieurs et profiterait à tous les pays membres. De plus,
l’augmentation de la demande intérieure inciterait le rentier à redevenir
entrepreneur, préférant pour accroître ses profits, investir plutôt que placer.
Par son effet multiplicateur, l’investissement créerait un dynamisme
macroéconomique garantissant la reprise et la confiance. Cependant cette politique
salariale macroéconomique doit faire l’objet d’une règle d’or appliquée à tous
et respectée par tous. Celle-ci fixerait
les seuils d’augmentation des salaires indexés à la fois sur l’évolution des
prix, de la productivité et de la croissance. Avec cette règle européenne, les
pays de la zone euro seraient contraints de conduire de manière coordonnée des
politiques salariales convergentes et progressives dans l’intérêt de tous. Ce
n’est qu’à cette condition que les gouvernements européens pourront relancer
l’emploi et endiguer la poussée du populisme.
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