Alors
que la richesse économique ne cesse de s’accroître à un rythme inégalé ces
cinquante dernières années, la contribution quantitative du travail à la
création du PIB se réduit parallèlement peu à peu. Nous nous trouvons à l’ère
de la révolution numérique dans une situation dans laquelle moins de travail
est nécessaire pour produire plus et mieux. Cette situation d’abondance se
traduit inévitablement par moins de travail et plus de capital pour garantir la
croissance économique. Cette raréfaction du nombre d’emplois liée au progrès
technologique numérique concerne désormais aussi bien les emplois peu qualifiés
que les emplois intermédiaires. Toutes les catégories de la classe moyenne sont
touchées à des degrés divers. Il ne s’agit plus seulement de mécanisation ou
d’automatisation qui jadis, au rythme des cycles d’innovations, supprimait des
emplois dans certains secteurs pour en déverser dans d’autres selon le principe
de la destruction créatrice de Schumpeter. Il s’agit d’une robotisation
intelligente de tous les secteurs d’activité, des algorithmes de plus en plus
complexes et de l’intelligence artificielle remplaçant progressivement le
travail de l’homme. Cette technoscience change notre rapport au travail. La
nouvelle productivité sans humain de la
révolution numérique nous place devant l’enjeu d’une adaptation sociétale à un
monde devenant de plus en plus pauvre en emplois, transformant ainsi notre
existence, et avec elle, notre rapport au travail, ainsi que celui de de la
protection sociale.
Dans une
situation de croissance restant durablement autour de 2% par an, il n’y a donc peu de chance que cette évolution de l'économie permette de
faire reculer le chômage à un rythme suffisant pour éviter les risques populistes
et sociaux auxquels notre société est confrontée aujourd'hui. Faut-il
pour autant renoncer au plein emploi et promouvoir un revenu de base universel
versé à tous, dès la naissance et tout au long de la vie, indépendamment du statut, au lieu de chercher à revenir à un plein-emploi ? L’idée du revenu universel, idée très
ancienne qui remonte à Thomas More au XVIe siècle est évidemment généreuse, mais sa
mise en œuvre s’avèrerait aujourd’hui très coûteuse et risquée économiquement
ainsi que socialement. En
effet la richesse nationale ne pourrait pas supporter le coût de ce revenu
pouvant s’élever à plus de 400 milliards d’euros par an en fonction de son
seuil fixé entre 520 euros et 1000 euros par mois. Elle se réduirait
progressivement en raison de l’inactivité d’une partie de la population malgré
la contribution de plus en plus forte du progrès technologique et ouvrirait la
trappe à la pauvreté. De plus, cette mesure reste toutefois inéquitable puisque
les plus riches bénéficieraient du même montant que les plus pauvres. S’engager
dans cette voie, c’est donc renoncer à la recherche du plein emploi et accepter
la fatalité du chômage ainsi que la dualité sociale qui en résulte. Si
on veut éviter la paupérisation des travailleurs tout en faisant reculer
rapidement le chômage et l’assistanat, il faut « travailler moins individuellement pour travailler plus collectivement ».
Partager le travail en réduisant parallèlement
les cotisations sociales patronales ainsi que celles de l’assurance chômage du
salarié jusqu’à leur suppression progressive, afin de ne pas augmenter le coût
de production des entreprises, favoriserait le maximum d’embauches sans
amoindrir le salaire net des salariés. Le manque à gagner pour le budget de l’Etat serait comblé par la baisse
du chômage et par une hausse des recettes tirées de la TVA du fait d’une
consommation devenue plus soutenue. Au final, le coût microéconomique du
« travailler moins
individuellement » serait compensé par les recettes macroéconomiques
liées au « travailler plus
collectivement ». Cela se traduirait par un accroissement de la
production grâce à l’augmentation du volume de travail lié au nombre d’actifs
garantissant ainsi le niveau de la demande et donc celui de la croissance. Le
temps libre devenu aussi plus important ferait naître de nouveaux besoins qui à
leur tour, feraient émerger de nouvelles activités économiques pour les
satisfaire et créeraient de nouveaux emplois. Elles permettraient ainsi la
distribution de revenus supplémentaires garantissant une croissance conciliant
le travail et le progrès. Le partage du travail est toujours
une politique solidaire, qui suppose que ceux qui ont un emploi fassent des
efforts et laissent une place à ceux qui sont au chômage. Ce choix ne sera
accepté que si ce partage n’appauvrit pas les uns pour aider les autres. Or, la baisse de la durée du travail
avec maintien du salaire net, accompagnée d’une forte réduction des cotisations
sociales patronales et assortie d’une embauche, profitant à tous, aussi bien
aux « insiders » qu’aux «outsiders » favoriserait l’acceptation
de ce choix. Elle permettrait de gagner plus
tous ensemble sans chômage, d’améliorer les conditions de vie de tous
les salariés et de réduire les inégalités sociales grâce à l’emploi. C’est sur
cette base solidaire qu’un nouvel ordre social et économique pourrait se
construire.
Ce choix ne sera efficace et
possible que si le monde patronal accepte
l’idée que le partage du travail grâce à la productivité liée au progrès est un
des facteurs qui équilibre le marché du travail contrairement au seul facteur
coût du travail. Il le sera d’autant plus, que s’il s’effectue par la
négociation collective prenant en compte la situation de chaque entreprise pour
déterminer le niveau de la baisse du temps de travail. Et le sera encore
d’autant plus, que s’il s’accompagne d’un prélèvement sur le capital financier
palliant la baisse des cotisations sur le travail et d’une régulation sociale
dans la formation des revenus primaires afin de rendre notre système de redistribution
moins coûteux, plus efficace et pérenne. Il est donc difficilement
compréhensible, qu’à une époque où la lutte contre le chômage est une urgence
nationale, l’option de la réduction du temps de travail ne soit toujours pas
envisagée dans le débat économique public.
Accepter de travailler moins
individuellement mais plus collectivement est avant tout un choix de société au
même titre que celui du choix de la flexibilité ou de celui de la création d’un
revenu universel. Depuis le début du XIXe
siècle, il a fallu constamment batailler pour réussir à réduire le temps de
travail. L’histoire nous a prouvé que sa baisse n’a jamais freiné la croissance
économique, bien au contraire. Il faut donc sortir de la vision
dogmatique de la durée du travail et privilégier son partage pour atteindre le
plein emploi. Ce n’est que par cette solidarité
que le travail retrouvera sa véritable valeur dans notre société !
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