Pour « une taxation accrue des revenus du capital afin que le rentier redevienne entrepreneur »
Les
inégalités économiques continuent de se creuser en France et dans les pays
développés. Depuis une dizaine d’années dans notre pays, elles sont devenues
plus fortes que pour les générations précédentes malgré une baisse ponctuelle
du rapport entre le niveau de vie moyen des 10% les plus riches et les 10% les
plus pauvres entre 2012 et 2013. Notre système de redistribution tel qu’il est organisé
aujourd’hui en France, consiste à prélever grâce aux impôts et aux cotisations
sociales chaque année près de la moitié de la richesse nationale créée c'est-à-dire sur l’ensemble
des revenus primaires versés en contrepartie de la production, pour ensuite la
redistribuer sous forme de prestations monétaires ou de services publics
(école, santé, sécurité…).
Par ce mécanisme,
pourra-t-il relever le défi d’une réduction significative des inégalités
sociales ?
Les chiffres
parlent d’eux-mêmes, la moitié du patrimoine (capital immobilier et capital
financier) est détenu par les 10% les plus aisés, les 90% restants se partagent
l’autre moitié. Autrement dit il y a une reproduction intergénérationnelle des
inégalités économiques. Le rapport
interdécile c'est-à-dire le rapport entre les 10% les plus aisés et les 10% les
plus modestes est passé de 6,4 en 2003 à 7,6 en 2012. Les ménages les plus
pauvres se sont donc davantage appauvris et les plus riches se sont davantage
enrichis. L’indice de Gini, indicateur compris entre 0 et 1, mesurant les
inégalités de revenus, confirme cette tendance. Plus il est proche de 0, plus
on s’approche d’une égalité des revenus et au contraire, plus il est proche de
1, plus les revenus sont inégaux. Pour notre économie il est passé de 0,27 en 1990 à 0,29 en 2015.
Il est ainsi en légère hausse, signe d’une répartition inégalitaire des revenus
plus ou moins contenue malgré un pic en 2013 à 0,30.
Plusieurs raisons
peuvent expliquer ces inégalités de revenus. La première est liée à la
mondialisation de l’économie gouvernée par le libre échange. En effet, face à
des économies devenues de plus en plus ouvertes et en compétition les unes contre
les autres, les entreprises recherchent à réaliser des gains de productivité
soit en comprimant leurs coûts salariaux, soit en flexibilisant davantage le
travail. Or cette course effrénée à la recherche de la compétitivité, a
précarisé une grande partie des emplois et avec elle, celle des salaires. Ces
emplois précaires, de mauvaise qualité, peu rémunérateurs placent fréquemment
les travailleurs dans une situation de pauvreté et aggravent ainsi les
disparités sociales. De plus, l’exigence de toujours plus de compétitivité, a
incité les Etats à réduire leur niveau de fiscalité afin d’attirer des
investisseurs et d’éviter une fuite des capitaux, ce qui s’est traduit par un
accroissement des très hauts revenus. Quant à la seconde raison, elle trouve
son origine dans la faiblesse des taux de croissance et dans le choix de la combinaison des facteurs de
production (travail et capital) des entrepreneurs. Contraints par les progrès
technologiques et numériques, les chefs d’entreprises donnent l’avantage au
capital par rapport au travail dans leurs choix de production, ce qui réduit la
contribution du travail à la croissance et donc du revenu versé en
contrepartie. La part du revenu du capital a tendance à augmenter du fait de sa plus forte contribution à la
production contrairement à celle du travail. Or comme l’a si bien démontré
Thomas Piketty dans le capital au XXI siècle, lorsque le rendement du capital
devient supérieur au taux de croissance, la rente se substitue progressivement au rendement car le placement devient plus
profitable que l’investissement. L’entrepreneur se transforme ainsi en rentier.
Il s’enrichit davantage sans une véritable hausse de la production en
contrepartie, creusant ainsi les inégalités entre le revenu du travail et le
revenu du capital. Dans ces conditions, plus la fortune des très hauts revenus
s’accroît moins la croissance devient forte. Et moins la croissance devient
forte, plus le chômage augmente et plus celui-ci augmente, plus les inégalités
s’aggravent.
Notre système de redistribution fondé sur la solidarité sociale,
peut-il mettre fin à cette spirale inégalitaire dans un contexte de faible
croissance ?
S’il parvient à ralentir
cette spirale grâce aux effets redistributifs des allocations et des services
publics sur le revenu final des ménages comme le confirme l’indice de Gini qui
est passé en 2014 de 0,497 avant redistribution, ce qui désigne une situation
très inégalitaire à 0,292 après redistribution, ce n’est pas pour autant que
les inégalités se réduisent réellement.
Dans une conjoncture morose, son
dispositif serait devenu trop coûteux en prélèvements et trop généreux en aides
sociales enfermant trop souvent leurs bénéficiaires dans l’assistanat et aurait
donc atteint ses limites. C’est pourquoi il devient nécessaire de renforcer la
redistribution verticale grâce à une taxation accrue des revenus du capital
afin que le rentier redevienne entrepreneur. Cela relancerait la croissance et
l’emploi et permettrait d’augmenter le niveau de vie des classes moyennes et
populaires qui tirent la croissance économique. Mais pour que la taxation de la
rente soit effective, il faut harmoniser nos systèmes fiscaux au niveau
européen pour éviter l’évasion fiscale. De plus il faut réduire en priorité les
inégalités des revenus primaires en mettant en œuvre une régulation sociale
dans la formation de ces revenus afin de rendre ensuite, la redistribution
moins coûteuse et plus efficace. C’est à ces conditions que la justice sociale
et l’efficacité économique redeviendront complémentaires. Des propositions
concrètes existent pour relever le défi des inégalités, reste à forger une
volonté politique nationale et européenne. Or trouver un accord politique sur
ces deux niveaux serait porteur d’espérance et réconcilierait les citoyens avec
la solidarité redevenue légitime.