Chômage :
la solution Rocard
Michel Rocard : "Travailler plus collectivement, mais moins
individuellement. Voilà la solution" :
Le retour d’une proposition, la réduction du temps de travail, -
aujourd’hui à contre-courant -, pour sortir de la crise du chômage. Michel
Rocard, l’homme du “parler vrai”, fait un retour remarqué dans le débat public.
Il le fait tel qu’en lui-même, c’est-à-dire en n’hésitant pas à sortir des
sentiers battus et à aller sur les voies innovantes. Son nouveau cheval de
bataille, avec son compère Pierre Larrouturou, un sujet devenu tabou en France,
la réduction du temps du travail. Un processus qu’il envisage de façon
radicale. “Pour résorber significativement notre chômage, passer aux 35 heures
ne suffit pas. Ce sont les 32 heures ou moins qu’il faut viser”, affirme-t-il.
A l’appui de sa démonstration, l’ex-Premier ministre met en avant le nombre
total d’heures travaillées durant les Trente Glorieuses – 41 milliards –
rapporté à la population active . Une nouvelle version du partage du travail ?
Michel Rocard détourne le slogan sarkozyste du “travailler plus” : “Travailler
plus, tous ensemble collectivement mais moins individuellement ! Voilà la
solution.”“Je n’aime pas le mot “crise”. En matière médicale, la crise,
c’est le temps fort de la maladie. Employer ce mot laisse supposer qu’on tient
pour anormal, surprenant et temporaire la phase dans laquelle on est, et qu’on
espère possible un retour à la situation antérieure. Or il ne s’agit pas du
tout de cela. Nous sommes devant des évolutions multiples différentes et
cumulatives, dont on ne sortira pas sans tout changer. A l’avenir, les choses
seront radicalement différentes dans tous les domaines : la nature, les objets,
l’activité économique, le temps de travail, les emplois, etc. Parler de crise
au singulier est une erreur. Je vous rappelle la phrase d’Henry Kissinger :
“Depuis l’origine de l’Histoire (soit tout de même 6 000 ans!), jamais aucune
génération n’a eu à faire face à autant de défis terribles et simultanés que
l’actuelle génération.” Ce mot de défi est préférable à celui de crise. Et les
défis sont nombreux, le premier, et pourtant l’un des moins commentés étant à
mon sens la perte de la capacité des économies développées à assurer le
plein-emploi.
Un chômage intolérable
Depuis maintenant 20 ans dans tous les pays développés, le chômage ne
régresse plus. Il s’est stabilisé entre 5 et 10 % selon les structures
sociales, les puissances syndicales, les habitudes des tribunaux en matière de
licenciement, les comportements traditionnels patronaux, etc. A ce chômage
s’ajoute la précarité. Contrats de durée de travail de quelques semaines, temps
partiel non choisi… Les précaires sont deux fois plus nombreux que les chômeurs
recensés. Il faut aussi compter les salariés dont les revenus sont inférieurs
au seuil de pauvreté. Chômeurs + précaires + travailleurs pauvres (les
catégories se recoupent parfois) englobent près d’un tiers de la population
active dans les pays développés. Une situation fondamentalement choquante que
l’on ne tolère que par habitude et qui est lourde de menace. La cause de
l’expansion de ce sous- emploi tient principalement au ralentissement
tendanciel de la croissance économique. Par paliers successifs, cette dernière
ne cesse pas de décliner. Le taux de croissance du PIB qui était de 5 % dans
les années des Trente Glorieuses est tombé successivement à 4 %, puis 3 % et en
dessous de 2 % depuis l’entrée dans le XXIe siècle. Les marchés en forte
expansion de l’après-guerre – l’automobile et les équipements blancs et bruns
(télévision, machine à laver…) deviennent des marchés de renouvellement à
croissance moindre et les marchés des nouveaux produits (téléphones mobiles,
ordinateurs …) sont de taille inférieure. Dans le même temps la hausse du
prélèvement actionnarial sur les résultats des entreprises (de 8 à 15 %) est
venue ralentir la progression du pouvoir d’achat des salariés alors que ce
dernier avait été la clé de la croissance pendant les Trente Glorieuses.
Parallèlement, les gains de productivité ont considérablement gonflé. Avec
l’informatique, les ordinateurs, les microprocesseurs et les robots, la
productivité s’accélère d’un rythme de 2 à 5 % l’an. Un “choc” d’une ampleur
considérable sur l’emploi que nous ne savons toujours pas gérer.
Une variable essentielle, la durée du travail
Face à un tel chômage et des perspectives de croissance aussi basses, il
n’y a pas d’autre solution que de rouvrir la question de la durée du travail.
La durée du travail est un des facteurs de l’équilibre du marché du travail.
J’en appelle ici au grand Keynes et non à quelques prophètes barbus ou
économistes en colère. En septembre 1930, en pleine crise, l’auteur de la
Théorie générale pronostique qu’à la fin du siècle il suffira de 3 heures par
jour - ou de 15 heures par semaine de travail salarié - pour que l’humanité
subvienne à ses besoins ! Je fais partie de ceux qui ont intégré cette vision :
il faut utiliser la variable du temps de travail pour se débarrasser du
chômage.
Le problème est qu’en France, la durée du travail fait partie de ces sujets
tabous qui lorsqu’on les aborde suscitent toutes sortes de débordements. Placez
le sujet dans la conversation, l’intelligence, la nuance, la précaution
disparaissent, le ton monte, on s’apostrophe, on cite des chiffres de partout
sans vérifier s’ils sont comparables ou compatibles entre eux et on profère
souvent des absurdités. De grâce cessons de nous quereller, et réfléchissons au
sujet avec tranquillité. Que les pouvoirs publics et les syndicats n’en
appellent d’abord plus à la loi pour traiter la question. Et que le monde
patronal accepte ensuite l’idée que la durée du travail est un des facteurs de
l’équilibre du marché du travail.
Le recours néfaste à la loi
Peu après la Deuxième Guerre mondiale en raison de l’effort de
reconstruction autour de 2 000 heures, puis à partir des années 50 elle reprend
son mouvement à la baisse si bien qu’à l’exception du Japon, partout en Europe
et en Amérique du Nord, elle se situe désormais entre 1 700 et 1 600 heures. Or
pour y parvenir, il n’y a qu’en France qu’on a eu recours à la loi car dans les
autres pays, le processus a été “naturel” et négocié. La loi sur les 40 heures
de 1936 a été tellement maladroite qu’elle a fait baisser la production. Elle
ne sera d’ailleurs effective qu’à partir de 1948. Il y a eu ensuite l’épisode
des 39 heures payées 40 en 1982. Une variation de moindre ampleur avec moins de
dommages sauf celui d’avoir découragé les quelques patrons et syndicalistes qui
s’apprêtaient à négocier. Puis survint la loi sur les 35 heures qui a provoqué
un affrontement hautement politisé, avec une charge symbolique extrême
entretenue par les médias. Quinze ans plus tard, on n’a toujours pas fait
convenablement le bilan de cette loi et encore moins l’analyse de ce qui a été
fait et pourquoi. Toutes les grandes entreprises françaises sont aux 35 heures,
ou en dessous alors que la quasi-totalité des PME ont refusé d’y aller et sont
restées à 37 ou 38 heures. Si bien qu’en raisonnant sur l’ensemble des
salariés, y compris ceux travaillant à temps partiel, la durée moyenne de
travail s’établit autour de 36,5-37 heures en France contre 33 heures en
Allemagne, 32 en Grande-Bretagne et en dessous de 31 heures aux Etats-Unis à la
fin 2012. Or ces 36,5-37 heures françaises sont corrollaires avec nos 5 millions
de chômeurs, toutes catégories de demandeurs d’emploi confondues !
Pour la semaine de 4 jours
L’idée qu’autour d’un horaire déterminé – que ce soit 36, 35 ou 32 heures -
on réaliserait instantanément le plein-emploi – et qu’on pourrait donc s’arrêter
là – est une idée idiote. Je suis moins à la recherche d’un chiffre symbole que
d’un processus intelligent, négocié et accepté pour pousser à la baisse aussi
loin qu’il le faudrait. Or il se trouve que pour résorber significativement
notre chômage, passer aux 35 heures ne suffit pas. De plus, une demi-heure de
moins de travail par jour ne présente pas de réel avantage pour un travailleur
qui consacre souvent beaucoup plus de temps à son trajet domicile-travail. Ce
qui peut avoir de l’intérêt, c’est de disposer d’une journée complète de libre.
S’occuper des enfants, bricoler, se cultiver, ca peut compter et ça soulage une
famille. C’est cette double idée qui nous a conduit – Pierre Larroturou et
moi-même – à accepter la symbolisation autour de la semaine de 4 jours
(4 jours à 8 huit heures font 32 heures). Mais ces 32 heures n’ont pas
plus de vertus symboliques que les 35 heures. Il se trouve tout simplement que
ce chiffre est en meilleure correspondance avec notre niveau de chômage à
combattre et avec un modèle d’application plus facile que celui des 4 journées
de travail.
Travailler plus mais tous ensemble
D’ores et déjà, environ 400 grosses PME ont choisi d’être à 32 heures pour
leur plus grand bénéfice car en général l’usine tourne 6 jours, ou au moins 5
et demi et avec au global plus de personnel au travail. Ce schéma n’est en rien
malthusien puisqu’il vise au contraire à accroître le nombre global d’heures
travaillées. “Travailler plus pour gagner plus !” Jamais Sarkozy, pas plus
d’ailleurs que ses ministres, n’ont précisé si cette formule s’appliquait au
niveau individuel ou à l’échelon collectif. Du temps des années de forte
croissance des années 60 et du début 70, la population active salariée
travaillait de l’ordre de 41 milliards d’heures de travail. Aujourd’hui, avec 5
millions de demandeurs d’emploi, le nombre d’heures fournies n’est plus que de
37 milliards. Ce sont ces heures perdues qu’il faut retrouver. Pour revenir au
plein-emploi et à ces 41 milliards d’heures, un simple calcul permet de déterminer
la durée du travail idoine. Ce n’est pas ma faute si l’arithmétique fait que
tous ensemble veut dire qu’on tombe à 32 heures, sinon moins !
Travailler beaucoup plus mais, tous ensemble collectivement et moins
individuellement, voilà la solution. Je suis prêt à en discuter avec tous ceux
qui acceptent les chiffres à la base de ce raisonnement.
www.lenouveleconomiste.fr
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