15 avr. 2022

Pouvoir d'achat : son niveau dépend de l'engagement mutuel des entreprises et de l'Etat !


 Le pouvoir d'achat n'est que la partie visible de l'iceberg de la répartition entre les revenus du travail et du capital.

L’inflation imputable au renchérissement du coût de l’énergie et des matières premières agricoles,  lié à la reprise économique internationale et à la guerre en Ukraine, pourrait dépasser les 5% en 2022. Les fins de mois seront de plus en plus difficiles pour les ménages aux revenus modestes et pour les retraités n’ayant pour seul revenu que leur pension. Avec la même quantité de monnaie ils ne pourront plus acheter la même quantité de biens, faute de revenu suffisant.

Dans ce contexte de crise, le pouvoir d’achat est désormais la priorité des français devant l’emploi, devant la santé et devant le dérèglement climatique.

 Le pouvoir d’achat est devenu l’affaire de l’État grâce au levier fiscal…

 Par crainte d’enclencher la spirale inflationniste prix-salaire, la plupart des mesures proposées cherchant à le préserver, sont plutôt des mesures fiscales que salariales. Le pouvoir d’achat serait devenu aujourd’hui l’affaire de l’État à travers les prélèvements obligatoires (impôts  et cotisations sociales). Il ne serait plus l’affaire des chefs d’entreprise et des parties prenantes internes de l’entreprise.

L’État serait ainsi le principal acteur du pouvoir d’achat des agents économiques aussi bien du secteur public que du secteur privé.

Cette répartition des rôles a fait des prélèvements obligatoires le principal déterminant du pouvoir d’achat, alors que celui-ci dépend d’abord du niveau du salaire brut. Cette vision partisane et individualiste a fini finalement par imposer dans le débat public, l’idée que la feuille d’impôt et  que les cotisations sociales sont les ennemis du pouvoir d’achat. En effet, de peur que les revendications salariales mettent à mal la compétitivité des entreprises et rétablissent une répartition entre les revenus du travail et du capital plus favorable au travail, les mesures protégeant le pouvoir d’achat se sont davantage orientées sur le terrain fiscal plutôt que sur le terrain salarial. Le terrain fiscal serait beaucoup moins risqué économiquement aux yeux des économistes orthodoxes. Selon eux, sans modifier le salaire brut, avec moins de protection sociale et moins de services publics, les ménages gagneraient en pouvoir d’achat grâce à un revenu disponible net devenu plus élevé.  Pour ces économistes le levier fiscal serait donc préférable à la hausse des revenus malgré le risque d’une dégradation des comptes sociaux qu’il fait courir et malgré le risque d’une aggravation des inégalités.

 …substituant la feuille d’impôt à la feuille de paie.

 Ce détournement renforce ainsi les thèses économiques classiques dites « libérales » selon lesquelles le salaire, et plus particulièrement le salaire minimum, seraient nocifs pour la compétitivité des entreprises, et selon lesquelles l’impôt découragerait l’esprit d’entreprendre, amoindrirait les profits et certains revenus, réduisant ainsi la croissance. C’est pourquoi la feuille d’impôt s’est progressivement substituée à la feuille de paie pour justifier davantage de pouvoir d’achat.

C’est pourquoi aussi, l’État social s’est substitué aux parties prenantes de l’entreprise pour revendiquer une hausse des revenus du travail. Aujourd’hui, la question du pouvoir d’achat est donc devenue un choix de répartition entre salaire et impôt et,  non plus celle d’un choix de répartition entre revenu du travail et revenu du capital. Or, choisir la baisse de la feuille d’impôt plutôt que la hausse de la feuille de paie pour redonner du pouvoir d’achat aux ménages est un choix de société entre solidarité et individualisme.

Cette substitution fait courir des risques économiques et sociaux…

C’est un choix très risqué économiquement et très injuste socialement.

En effet réduire les impôts, c’est moins de services publics, donc moins de policiers, moins de professeurs, moins d’infirmières, moins de médecins hospitaliers, moins de chercheurs, c’est moins de main-d’œuvre qualifiée, moins de connaissances, c’est moins d’innovation et de progrès technique, moins de compétitivité et donc moins de croissance, selon les théoriciens de la croissance endogène.

Réduire les cotisations sociales pour plus de revenu net, c’est courir le risque de dégrader les comptes sociaux notamment ceux de notre protection sociale, de mettre en péril les retraites et d’affaiblir la solidarité.

Cette diminution est révélatrice d’un choix de société. Elle cimente ainsi petit à petit l’idée fausse que le niveau du revenu net disponible dépend davantage du niveau des prélèvements obligatoires plutôt que du niveau du revenu brut. En légitimant l’individualisme, elle impose la baisse de l’impôt au détriment de la hausse des salaires, pour donner davantage de pouvoir d’achat aux ménages. Préférant ainsi amoindrir le bien-être collectif pour enrichir le bien-être individuel !

 … Afin de réduire ces risques, l’État social devrait plutôt baisser l’impôt indirect pour certains produits…

 Devant de tels risques, plutôt que de baisser les impôts directs et les cotisations sociales, afin de préserver le pouvoir d’achat des ménages, l’État social pourrait réduire fortement la TVA sur les produits de consommation courante qualifiés de première nécessité. De plus, il pourrait administrer les prix de l’énergie évitant ainsi toute spéculation sur leurs cours. Cette régulation réduisant la fluctuation des prix du gaz, de l’électricité et du carburant, limiterait leurs diverses hausses irrégulières  et encouragerait les investissements à moyen terme des entreprises puisque leur environnement serait moins incertain dans ce contexte de crise de l’énergie. En outre, l’État social comme il a commencé à le faire avec le « quoi qu’il en coûte », a la faculté aussi d’agir directement sur les revenus en augmentant certaines prestations sociales ciblées sur les plus modestes, et la possibilité d’augmenter de nouveau le smic ainsi que le point d’indice des fonctionnaires. Il pourrait aussi indexer les retraites sur les prix permettant de garantir le pouvoir d’achat des retraités. L’indexation ne serait en aucun cas une menace pour l’équilibre de notre système de répartition selon les différents scénarios du COR. Cependant, pour être efficace cette intervention de l’État social doit être complétée par celle de toutes les entreprises.

 le pouvoir d’achat est aussi l’affaire des entreprises.

 L’inflation peut être tolérée si l’évolution des revenus du travail suit la même évolution que celle des prix et qu’elle s’accompagne d’une répartition plus favorable au revenu du travail qu’au revenu du capital. Il est tout à fait possible de maintenir le pouvoir d’achat sans mettre en péril notre système de protection sociale. Il suffit que les salaires progressent au même rythme que l’inflation. Les entreprises peuvent amortir la hausse des salaires grâce à leurs gains de productivité. Elles peuvent aussi diminuer légèrement leur marge,  ou encore réduire le montant des dividendes versés aux actionnaires. Elles peuvent néanmoins répercuter une partie de cette hausse sur leurs prix de vente. Ce qu’elles font actuellement avec la hausse des coûts des matières premières. La hausse généralisée et négociée des salaires ne serait pas  risquée dans le contexte de croissance économique et de croissance de l’emploi que nous connaissons aujourd’hui. De plus, elle stimulerait la production des entreprises sur notre territoire grâce à de nouveaux débouchés, évitant ainsi le risque de la stagflation.

Choisir la hausse généralisée des revenus du travail plutôt que celle du capital est un choix de société entre une économie républicaine et une économie libérale dans laquelle l’économie républicaine est seule à pouvoir concilier à la fois les intérêts particuliers et l’intérêt général contrairement à l’économie individualiste. Un tel choix est peu risqué. C’est un choix juste socialement et efficace économiquement pour préserver le pouvoir d’achat de tous. Ce n’est donc que par le choix d’un engagement mutuel  des entreprises et de l’État social dans une répartition plus favorable  au revenu du travail, que le pouvoir d’achat des ménages pourrait être garanti et que l’inflation ne serait plus une crainte !