Réformer
les retraites sans compensation serait injuste !
Après
l’assouplissement du marché du travail instauré par la loi travail en janvier
2018, notre système de retraite pourrait à son tour être touché par la
flexibilité. Conçu au lendemain de la seconde guerre mondiale, ce régime de
répartition repose sur un principe de solidarité entre les générations selon
lequel les retraites sont payées par les cotisations des actifs occupés. En 2025 ce système alors vieux de 80 ans sera
remplacé par un régime universel par points. Le nouveau système plus
individualiste est présenté par les promoteurs de la réforme comme plus simple,
plus juste et mieux équilibré financièrement que le régime actuel fondé sur la
solidarité horizontale. Notre système de retraite serait à leurs yeux en danger
financièrement dans les années à venir.
Des
réformes ont été entreprises pour réduire
le déficit … mais 2025-2035 sera un cap
difficile.
Pourtant, après
de nombreuses réformes : 1993, 2003, 2010 et 2014, la caisse nationale
d’assurance vieillesse est excédentaire depuis 2016 à l’exception du fonds de
solidarité vieillesse. L’allongement du départ à la retraite, l’allongement de
la durée de cotisation, la hausse des cotisations vieillesse et de la CSG ainsi
que l’indexation des pensions sur l’inflation, ont contribué à améliorer les
finances de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse. Grâce à ces différents
leviers et malgré un ratio cotisants/retraités toujours plus faible, les
dépenses de retraites devraient varier entre 11,6% et 14,2% du PIB en fonction
des divers scénarios de croissance retenus par le Centre d’Orientation des
Retraites. Alors dans ces conditions, y-a-t-il vraiment une urgence financière
à réformer notre régime de retraites ?
Selon les
projections du C.O.R, les années 2025-2035 seront les périodes les plus
difficiles pour maintenir l’équilibre financier en raison de la dégradation du
rapport actifs/retraités. De 1.7 cotisants pour un retraité en 2018, il
pourrait passer de 1.65 cotisants pour un retraité en 2020 et de 1.4 en 2040 en
aggravant ainsi le déséquilibre financier, à cause de l’allongement de
l’espérance de vie et d’une croissance condamnée à rester en deçà de 2% du PIB peu
créatrice d’emplois. Tous
régimes confondus, l’équilibre ne devrait pas être atteint avant le début des
années 2040. Dans ce contexte, les trois leviers que sont : l’augmentation
des cotisations ou celle de leure durée, le recul de l’âge légal
de départ à la retraite et la diminution du montant des pensions, auront de
plus en plus de difficulté à faire face au besoin de financement s’élevant à 4%
du PIB en 2020.
Une
réforme nécessaire pour certains, mais risquée et pouvant créer des injustices…
Dans ces
conditions, la mise en place d’une retraite par points sous couvert d’une
meilleure lisibilité et d’une meilleure égalité, supprimant les 42 régimes
actuels, permettrait grâce à l’universalité de son régime calculé sur
l’ensemble de l’activité professionnelle, de réduire le niveau des dépenses de
retraites dans le PIB. Elle permettrait le retour à l’équilibre financier grâce
à la flexibilité rendue possible par l’ajustement à tout moment des points ainsi
que de leur valeur selon l’environnement démographique et économique. Le niveau
des pensions serait ainsi ajusté en permanence, ce qui pourrait encourager le
recours à l’assurance privée de certains salariés afin de faire face à cette
incertitude pour garantir le niveau de leur pension. Cette flexibilité risquerait
ainsi de créer un double système de
retraites : un système par répartition et un système par capitalisation
pouvant peu à peu se cannibaliser. De plus, cela inciterait les salariés à
travailler bien au-delà de 63 ans, l’âge effectif de départ à la retraite, pour
maximiser leurs points, privant ainsi les jeunes entrant sur le marché du
travail, de certains emplois et par conséquent privant le système de cotisants.
Le caractère
universel du régime par points comporte en l’état actuel d’autres risques.
L’universalité du régime fondé sur le principe d’un euro cotisé ouvrant les
mêmes droits pour tous, semble tout à fait juste en théorie. Cependant cette
équité n’est que partielle pour certains actifs. En effet, dans la fonction
publique, vouloir compenser la dépréciation des retraites des fonctionnaires liée
à la suppression des six derniers mois de salaire au profit de l’ensemble de la
carrière servant de base de calcul des pensions, en intégrant les primes dans
leur salaire brut, pénalise fortement les enseignants. Ils font partie des un
million de fonctionnaires qui ne bénéficient d’aucune prime. L’application de
cette règle du privé au nom du principe d’égalité réduira ainsi fortement le
niveau de leur pension. Or si en contrepartie, aucune compensation ou si aucune
valorisation significative de leur rémunération, ne sont mises en œuvre, le
caractère universel du système pourrait prendre un caractère différentiel aggravant
les inégalités entre les fonctionnaires de catégorie A.
Elle est aussi
partielle pour certains actifs du secteur privé. Un euro cotisé n’a pas la même
valeur entre des salariés exerçant un travail pénible et ceux travaillant dans
des conditions confortables. A cause de la pénibilité, les premiers
contrairement aux seconds, ne pourront pas toujours travailler au-delà de 60 ans
et seront donc contraints de cesser leur activité avec des pensions réduites à
défaut de points suffisamment accumulés. Cette dépréciation fait courir le
risque d’une paupérisation de certains retraités faute d’une compensation valorisant
le point lié à la pénibilité. Vouloir mettre à égalité tout le monde devant la
retraite crée des injustices.
Le futur système de
retraites privilégiant la flexibilité des pensions plutôt que celle de l’âge et
de la durée de cotisations pour s’adapter à l’augmentation de l’espérance de
vie, ne sera efficace et juste, que si l’incertitude sur la valeur des points est
levée et que si des compensations sont créées pour garantir l’équité
universelle du système.