Devant l’envolée
des déficits publics et de la dette publique accompagnée d’une pression fiscale
devenue optimale, le diagnostic est dit-on, sans appel : les Etats
européens et plus particulièrement la France, doivent « imposer moins et dépenser moins ».
Au nom de ce dogme économique de l'économie classique, les
gouvernements affirment inlassablement qu’il serait bon de réduire les
prélèvements obligatoires. Ceux-ci représentent en 2014 dans notre économie,
plus de 46% du P.I.B. et pèsent lourdement sur la croissance en affaiblissant
l’offre. Les entreprises sont devenues moins compétitives, ont du mal à remplir
leurs carnets de commandes et peinent donc à trouver des débouchés. Dans ces
conditions, elles ne peuvent ni produire davantage, ni créer des emplois.
Les impôts directs et indirects ainsi
que les cotisations sociales sont principalement considérés comme une charge
qu’il faut réduire pour que nos entreprises puissent retrouver plus de
compétitivité et produire plus. Ils sont aussi un moyen de financer notre
protection sociale et nos services publics.
La
question du niveau des prélèvements obligatoires est donc celle d’un choix
économique entre l’offre et la demande et aussi, celle d’un choix de société
entre solidarité et individualisme.
L’Etat s’est engagé à les réduire à
travers le pacte de responsabilité et le crédit d’impôt pour la compétitivité
et l’emploi. Il a choisi de pousser la croissance par l’offre plutôt que de la
tirer par la demande.
Un tel choix économique est à la fois
audacieux et risqué.
Audacieux
car d’une part la baisse des prélèvements obligatoires ne garantit pas
nécessairement une diminution des prix et donc une meilleure compétitivité. Une
baisse des cotisations sociales patronales ne permet pas à nos entreprises d’aligner
leurs prix sur ceux des entreprises des pays émergents. L’écart social entre
ces pays et le nôtre rend impossible et insoutenable toute compétitivité prix.
D’autre
part, les entreprises bénéficiant de ces allègements fiscaux, préfèrent avant-
tout, accroître leur taux de marge et ce n’est pas parce qu’elles ont restauré
leurs marges, qu’elles vont investir. Les profits sont une condition nécessaire
à l’investissement, mais ils ne sont pas une condition suffisante. Le
déterminant substantiel de l’investissement et de l’emploi reste la demande.
C’est elle qui remplit le carnet de commandes des entreprises et les incitent à
investir, à augmenter leur production et à créer des emplois.
Cette baisse est également risquée,
puisqu’elle contraint l’Etat Providence à réduire le niveau des revenus sociaux
versés aux ménages les plus modestes et creuse davantage les inégalités de
revenus. Cette diminution du pouvoir d’achat des ménages affaiblit la
consommation et fragilise la cohésion sociale.
De plus, faute de ressources fiscales
suffisantes, l’Etat se voit obligé de diminuer les dépenses publiques afin
d’éviter d’aggraver ses déficits. Or, l’impôt
sert à financer des dépenses publiques, elles-mêmes très utiles à la croissance
économique.
Moins d’impôts, c’est moins de main d’œuvre
qualifiée, moins de santé, moins de connaissances, de recherche, d’innovation
et de progrès technique, donc moins de compétitivité et de croissance à terme. Sa
réduction, selon la théorie de la croissance endogène, provoque celle des dépenses publiques qui par son effet démultiplicateur
ralentit à la fois le niveau de la demande et celui de l’offre pénalisant ainsi
la croissance.
L’offre, malgré ces allègements fiscaux
et sociaux, ne peut parvenir sans le soutien de la demande, à relancer la
croissance. C’est le cas de la France aujourd’hui, qui a du mal à atteindre des
taux de croissance supérieurs à 1%.
Alors « imposer moins et dépenser moins » pour doper la croissance, serait-il un mythe ?
Malgré ses risques, l’idée de payer moins d’impôts et de
cotisations sociales nous réconforte toujours. Pourtant le taux de prélèvements
obligatoires est l’un des meilleurs indices du degré de solidarité nationale et
permet à tous de bénéficier d’une protection sociale et d’accéder à l’Education
gratuitement.
Cette diminution est révélatrice d’un choix de société. Elle
cimente petit à petit l’idée que notre système social est devenu aujourd’hui
trop coûteux et inefficace. Elle prive l’Etat-Providence de ressources, de
telle sorte que même ceux qui en ont le plus besoin acceptent implicitement son
désengagement progressif, faisant naître chez les ménages, le sentiment de
payer toujours trop pour une redistribution en contrepartie peu significative.
Elle légitime ainsi le chacun pour soi. « Pourquoi payer pour les autres » ? En cette période
d’austérité la perte du paiement solidaire justifie la régression sociale
désignée comme un mal nécessaire pour rétablir la croissance et l’emploi pour
tous. Ce recul est d’autant plus accepté que l’effort collectif se laisse
absorber petit à petit par l’égoïsme social dans lequel l’exploit solitaire se
substitue à la réussite solidaire. Le mythe économique pourrait ainsi devenir
progressivement une réalité sociale !