2 sept. 2015

Le partage du travail : une solution Rocardienne au chômage !


Chômage : la solution Rocard

Michel Rocard : "Travailler plus collectivement, mais moins individuellement. Voilà la solution" :

Le retour d’une proposition, la réduction du temps de travail, - aujourd’hui à contre-courant -, pour sortir de la crise du chômage. Michel Rocard, l’homme du “parler vrai”, fait un retour remarqué dans le débat public. Il le fait tel qu’en lui-même, c’est-à-dire en n’hésitant pas à sortir des sentiers battus et à aller sur les voies innovantes. Son nouveau cheval de bataille, avec son compère Pierre Larrouturou, un sujet devenu tabou en France, la réduction du temps du travail. Un processus qu’il envisage de façon radicale. “Pour résorber significativement notre chômage, passer aux 35 heures ne suffit pas. Ce sont les 32 heures ou moins qu’il faut viser”, affirme-t-il. A l’appui de sa démonstration, l’ex-Premier ministre met en avant le nombre total d’heures travaillées durant les Trente Glorieuses – 41 milliards – rapporté à la population active . Une nouvelle version du partage du travail ? Michel Rocard détourne le slogan sarkozyste du “travailler plus” : “Travailler plus, tous ensemble collectivement mais moins individuellement ! Voilà la solution.”Je n’aime pas le mot “crise”. En matière médicale, la crise, c’est le temps fort de la maladie. Employer ce mot laisse supposer qu’on tient pour anormal, surprenant et temporaire la phase dans laquelle on est, et qu’on espère possible un retour à la situation antérieure. Or il ne s’agit pas du tout de cela. Nous sommes devant des évolutions multiples différentes et cumulatives, dont on ne sortira pas sans tout changer. A l’avenir, les choses seront radicalement différentes dans tous les domaines : la nature, les objets, l’activité économique, le temps de travail, les emplois, etc. Parler de crise au singulier est une erreur. Je vous rappelle la phrase d’Henry Kissinger : “Depuis l’origine de l’Histoire (soit tout de même 6 000 ans!), jamais aucune génération n’a eu à faire face à autant de défis terribles et simultanés que l’actuelle génération.” Ce mot de défi est préférable à celui de crise. Et les défis sont nombreux, le premier, et pourtant l’un des moins commentés étant à mon sens la perte de la capacité des économies développées à assurer le plein-emploi.

Un chômage intolérable

Depuis maintenant 20 ans dans tous les pays développés, le chômage ne régresse plus. Il s’est stabilisé entre 5 et 10 % selon les structures sociales, les puissances syndicales, les habitudes des tribunaux en matière de licenciement, les comportements traditionnels patronaux, etc. A ce chômage s’ajoute la précarité. Contrats de durée de travail de quelques semaines, temps partiel non choisi… Les précaires sont deux fois plus nombreux que les chômeurs recensés. Il faut aussi compter les salariés dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté. Chômeurs + précaires + travailleurs pauvres (les catégories se recoupent parfois) englobent près d’un tiers de la population active dans les pays développés. Une situation fondamentalement choquante que l’on ne tolère que par habitude et qui est lourde de menace. La cause de l’expansion de ce sous- emploi tient principalement au ralentissement tendanciel de la croissance économique. Par paliers successifs, cette dernière ne cesse pas de décliner. Le taux de croissance du PIB qui était de 5 % dans les années des Trente Glorieuses est tombé successivement à 4 %, puis 3 % et en dessous de 2 % depuis l’entrée dans le XXIe siècle. Les marchés en forte expansion de l’après-guerre – l’automobile et les équipements blancs et bruns (télévision, machine à laver…) deviennent des marchés de renouvellement à croissance moindre et les marchés des nouveaux produits (téléphones mobiles, ordinateurs …) sont de taille inférieure. Dans le même temps la hausse du prélèvement actionnarial sur les résultats des entreprises (de 8 à 15 %) est venue ralentir la progression du pouvoir d’achat des salariés alors que ce dernier avait été la clé de la croissance pendant les Trente Glorieuses. Parallèlement, les gains de productivité ont considérablement gonflé. Avec l’informatique, les ordinateurs, les microprocesseurs et les robots, la productivité s’accélère d’un rythme de 2 à 5 % l’an. Un “choc” d’une ampleur considérable sur l’emploi que nous ne savons toujours pas gérer.

Une variable essentielle, la durée du travail

Face à un tel chômage et des perspectives de croissance aussi basses, il n’y a pas d’autre solution que de rouvrir la question de la durée du travail. La durée du travail est un des facteurs de l’équilibre du marché du travail. J’en appelle ici au grand Keynes et non à quelques prophètes barbus ou économistes en colère. En septembre 1930, en pleine crise, l’auteur de la Théorie générale pronostique qu’à la fin du siècle il suffira de 3 heures par jour - ou de 15 heures par semaine de travail salarié - pour que l’humanité subvienne à ses besoins ! Je fais partie de ceux qui ont intégré cette vision : il faut utiliser la variable du temps de travail pour se débarrasser du chômage.

Le problème est qu’en France, la durée du travail fait partie de ces sujets tabous qui lorsqu’on les aborde suscitent toutes sortes de débordements. Placez le sujet dans la conversation, l’intelligence, la nuance, la précaution disparaissent, le ton monte, on s’apostrophe, on cite des chiffres de partout sans vérifier s’ils sont comparables ou compatibles entre eux et on profère souvent des absurdités. De grâce cessons de nous quereller, et réfléchissons au sujet avec tranquillité. Que les pouvoirs publics et les syndicats n’en appellent d’abord plus à la loi pour traiter la question. Et que le monde patronal accepte ensuite l’idée que la durée du travail est un des facteurs de l’équilibre du marché du travail.

Le recours néfaste à la loi

Peu après la Deuxième Guerre mondiale en raison de l’effort de reconstruction autour de 2 000 heures, puis à partir des années 50 elle reprend son mouvement à la baisse si bien qu’à l’exception du Japon, partout en Europe et en Amérique du Nord, elle se situe désormais entre 1 700 et 1 600 heures. Or pour y parvenir, il n’y a qu’en France qu’on a eu recours à la loi car dans les autres pays, le processus a été “naturel” et négocié. La loi sur les 40 heures de 1936 a été tellement maladroite qu’elle a fait baisser la production. Elle ne sera d’ailleurs effective qu’à partir de 1948. Il y a eu ensuite l’épisode des 39 heures payées 40 en 1982. Une variation de moindre ampleur avec moins de dommages sauf celui d’avoir découragé les quelques patrons et syndicalistes qui s’apprêtaient à négocier. Puis survint la loi sur les 35 heures qui a provoqué un affrontement hautement politisé, avec une charge symbolique extrême entretenue par les médias. Quinze ans plus tard, on n’a toujours pas fait convenablement le bilan de cette loi et encore moins l’analyse de ce qui a été fait et pourquoi. Toutes les grandes entreprises françaises sont aux 35 heures, ou en dessous alors que la quasi-totalité des PME ont refusé d’y aller et sont restées à 37 ou 38 heures. Si bien qu’en raisonnant sur l’ensemble des salariés, y compris ceux travaillant à temps partiel, la durée moyenne de travail s’établit autour de 36,5-37 heures en France contre 33 heures en Allemagne, 32 en Grande-Bretagne et en dessous de 31 heures aux Etats-Unis à la fin 2012. Or ces 36,5-37 heures françaises sont corrollaires avec nos 5 millions de chômeurs, toutes catégories de demandeurs d’emploi confondues !

Pour la semaine de 4 jours

L’idée qu’autour d’un horaire déterminé – que ce soit 36, 35 ou 32 heures - on réaliserait instantanément le plein-emploi – et qu’on pourrait donc s’arrêter là – est une idée idiote. Je suis moins à la recherche d’un chiffre symbole que d’un processus intelligent, négocié et accepté pour pousser à la baisse aussi loin qu’il le faudrait. Or il se trouve que pour résorber significativement notre chômage, passer aux 35 heures ne suffit pas. De plus, une demi-heure de moins de travail par jour ne présente pas de réel avantage pour un travailleur qui consacre souvent beaucoup plus de temps à son trajet domicile-travail. Ce qui peut avoir de l’intérêt, c’est de disposer d’une journée complète de libre. S’occuper des enfants, bricoler, se cultiver, ca peut compter et ça soulage une famille. C’est cette double idée qui nous a conduit – Pierre Larroturou et moi-même – à accepter la symbolisation autour de la semaine de 4 jours (4 jours à 8 huit heures font 32 heures). Mais ces 32 heures n’ont pas plus de vertus symboliques que les 35 heures. Il se trouve tout simplement que ce chiffre est en meilleure correspondance avec notre niveau de chômage à combattre et avec un modèle d’application plus facile que celui des 4 journées de travail.

Travailler plus mais tous ensemble

D’ores et déjà, environ 400 grosses PME ont choisi d’être à 32 heures pour leur plus grand bénéfice car en général l’usine tourne 6 jours, ou au moins 5 et demi et avec au global plus de personnel au travail. Ce schéma n’est en rien malthusien puisqu’il vise au contraire à accroître le nombre global d’heures travaillées. “Travailler plus pour gagner plus !” Jamais Sarkozy, pas plus d’ailleurs que ses ministres, n’ont précisé si cette formule s’appliquait au niveau individuel ou à l’échelon collectif. Du temps des années de forte croissance des années 60 et du début 70, la population active salariée travaillait de l’ordre de 41 milliards d’heures de travail. Aujourd’hui, avec 5 millions de demandeurs d’emploi, le nombre d’heures fournies n’est plus que de 37 milliards. Ce sont ces heures perdues qu’il faut retrouver. Pour revenir au plein-emploi et à ces 41 milliards d’heures, un simple calcul permet de déterminer la durée du travail idoine. Ce n’est pas ma faute si l’arithmétique fait que tous ensemble veut dire qu’on tombe à 32 heures, sinon moins !

Travailler beaucoup plus mais, tous ensemble collectivement et moins individuellement, voilà la solution. Je suis prêt à en discuter avec tous ceux qui acceptent les chiffres à la base de ce raisonnement.

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