26 nov. 2017

Pour une croissance où "l'être" prime sur "l'avoir" !

La course effrénée aux profits, conjuguée à une consommation devenue de plus en plus excessive, nous font croire à un bonheur économique garanti par l’augmentation du P.I.B. Cette augmentation permet à chaque acteur économique d’avoir davantage et donc de pouvoir satisfaire ses besoins selon l’adage : « c’est en ayant plus que l’on vit mieux ». Or, cette croissance qui détermine le niveau de l’emploi, qui conditionne notre niveau de vie et celui de notre protection sociale, reste encore en deçà du seuil de 2% du PIB. C’est pourquoi une croissance encore plus forte est tant espérée en cette période de fin d’austérité.

Il existe deux façons de la faire progresser.

La première consiste à produire plus avec la même quantité de travail au moindre coût au risque de mettre en péril le climat, d’épuiser les ressources naturelles, au risque d’appauvrir d’année en année la biodiversité dans les espèces animales et végétales, ou encore de précariser davantage le travail et d’aggraver les inégalités.

La seconde consiste à produire et à consommer autrement en préservant l’environnement naturel et la biodiversité, en développant les énergies renouvelables, en encourageant la recherche et le développement ainsi que la formation professionnelle et la qualité du travail. Créer des emplois, des richesses durables, répartir les revenus de manière plus équitable, et consommer moins mais mieux, grâce à une croissance fondée sur la qualité plutôt que sur la quantité, est une solution rendue possible aujourd’hui. Produire des produits biologiques, des voitures propres, des biens durables et recyclables nécessite plus de travail, crée de nouveaux emplois et permet de produire des richesses sans compromettre l’équilibre environnemental.

Désormais, satisfaire nos besoins sans compromettre ceux de la génération future, implique de passer d’une économie fondée sur « l’avoir plus » à une économie fondée sur « l’être mieux ». Autrement dit, passer d’un modèle productiviste dominé par le court terme à un modèle du bien être, dans lequel l’activité économique serait basée sur la qualité des biens et sur les ressources humaines donc sur le « toujours mieux » plutôt que sur le « toujours plus ».

Notre économie sous l’influence du toujours plus, continue de privilégier le premier modèle de production en activant les rouages d’une croissance des quantités plutôt que ceux d’une croissance de la qualité. Ce type de croissance fige ainsi pour plusieurs décennies l’économie réelle sur le temps présent afin d’accroître la rentabilité à court terme au détriment de l’investissement et de l’environnement. Cette logique de production en négligeant la valeur ajoutée de la qualité et de celle du bien être sur la société, conduit son propre modèle économique dans un cycle de croissance générant plus d’externalités négatives que d’externalités positives. De plus, en différant les investissements préparant la transition écologique, elle retarde la recherche et l’innovation capables d’amorcer cette mutation dans laquelle le paradigme « c’est en étant mieux que l’on vit mieux » trouve tout son sens. Or, aujourd’hui, dans ce contexte, l’engagement des Etats reste trop souvent restreint par l’influence de certaines multinationales et de certains lobbies industriels trop préoccupés par les rendements immédiats.

Cependant, malgré les différents sommets  et accords internationaux : Copenhague, COP 21 …COP 23, malgré les dénonciations au grand jour des risques sur la santé publique de l’utilisation des pesticides comme le glyphosate et malgré les alertes récurrentes des scientifiques sur le dérèglement climatique, il faudra en revenir à ce vieil adage « aux grands maux les grands remèdes ».  Il faut profiter de l’émergence de la prise de conscience citoyenne sur les enjeux environnementaux qui se dessine aujourd’hui, pour en finir avec le culte de la croissance quantitative et s’orienter vers une croissance qualitative source de bien-être grâce aux nouvelles technologies.
C’est une autre vision du progrès, qu’il faut désormais mettre au service de l’économie durable et solidaire où « l’être» prime sur « l’avoir ». Cette orientation nécessite de nouvelles règles de fonctionnement de notre économie. Elle suppose une révolution radicale de nos modes de production et de consommation. Cela impose des changements substantiels dans notre manière de produire, de consommer, de travailler et de répartir les richesses. Les institutions publiques nationales ou européennes ainsi que les entreprises sont les seules à  pouvoir agir sur les trois rouages de l’activité économique (Production-Répartition-Consommation) pour provoquer l’accélération de ce changement structurel. L’idée qu’en vivant autrement on peut vivre mieux pourrait ainsi se concrétiser progressivement dans les actes de la vie quotidienne. Construire cette nouvelle économie exige un projet capable de restaurer la confiance en l’avenir en fédérant les États à un niveau supranational. Cette ambition fait aujourd’hui défaut en Europe malgré certaines avancées. La gravité et la rapidité du dérèglement de notre environnement naturel offrent aux États européens l’opportunité de construire cette nouvelle croissance pour la génération future. L’Union  Européenne pourrait ainsi servir de modèle pour le reste du monde, en s’engageant dans cette voie où « l’être » prime sur « l’avoir ».

24 sept. 2017

Préférer l'austérité et la flexibilité à l'investissement public : un choix risqué !

Pour faire face à un chômage structurel persistant malgré une conjoncture économique favorable fin  2017, le gouvernement a choisi de réformer le code du travail par la voie des ordonnances afin d’anticiper la reprise économique. Dans le même temps, il a aussi choisi de réaliser des économies budgétaires  pour faire face aux déficits publics occasionnés par la politique de l’offre sous le quinquennat précédent, ce qui l’a conduit à réduire les dépenses publiques, notamment à baisser les aides au  logement et à diminuer les emplois aidés.Baisser les dépenses publiques à tout prix et flexibiliser le travail pour accélérer la croissance et l’emploi semble être un choix audacieux.Un tel choix de politique économique risque d’aggraver les inégalités et de freiner la croissance prévue pour 2018.Les aides au logement grâce à notre système de redistribution contribuent à réduire au moins d’un cinquième l’écart entre les ménages les plus riches et les ménages les plus pauvres. Aussi, la baisse de 5 euros par mois des aides au logement permettant d’économiser 390 millions d’euros par an, pourrait davantage creuser le fossé entre les 10% des ménages les plus riches et les 10% les plus pauvres.Quant aux contrats aidés, jugés trop coûteux et inefficaces pour lutter contre le chômage, ils devraient voir leur nombre baisser de 40% en 2018. Ceux-ci sont pourtant très utiles pour les jeunes chômeurs sans qualification et pour les chômeurs de longue durée. Ils facilitent leur intégration et leur permettent d’acquérir une formation. Ils sont très utiles aussi pour les associations et les services publics, ou encore pour les collectivités territoriales, en particulier pour les écoles en participant activement à leur fonctionnement. Leur diminution fait donc courir un triple risque : celui de précariser et d’exclure davantage les chômeurs les plus vulnérables, de mettre en grande difficulté de nombreuses associations,  et de dégrader la qualité de certains services publics limitant ainsi leur effet redistributif. Afin de parvenir à contenir le déficit budgétaire en deçà des 3% du PIB d’ici 2018, ces efforts budgétaires pourraient bien vite s’étendre aux investissements publics et à la protection sociale avec le risque d’aggraver encore plus les inégalités et d’appauvrir les ménages.L’investissement public est passé ces dernières années en France de 4.2% à 3.5% du PIB. Une nouvelle baisse serait périlleuse puisque le recours à l’investissement public a un impact sur l’emploi et la croissance bien plus important que la réduction des cotisations sociales.
A ces risques s’en ajoute un autre, celui de la précarité liée à la flexibilité du marché du travail. En effet, vouloir lutter contre le chômage en flexibilisant le travail pour réduire la peur d’embaucher, ouvre la voie à la modération salariale. La rupture conventionnelle collective  pourrait devenir une variable d’ajustement au service de la compétitivité, pouvant contraindre les salariés à accepter une réduction de leurs salaires de peur de perdre leur emploi. On peut considérer qu’il vaut mieux être moins bien payé plutôt que d’être chômeur ! C’est le cas de l’Allemagne qui a un taux de chômage faible au prix d’une précarité forte.Mais, il faut être conscient que ce choix accroît les inégalités entre les salariés protégés et les salariés précaires. De plus, en limitant le pouvoir d’achat d’une grande partie de ces ménages, il affaiblit le niveau de la demande globale et inévitablement celui de l’investissement. Avec moins de demande, les entreprises ne sont pas incitées à investir, elles doivent baisser leurs prix pour trouver des débouchés. Pour cela, elles pourront désormais plus facilement diminuer les salaires sous la menace de la rupture du contrat de travail devenue plus facile. Cette modération salariale affaiblissant de nouveau la demande, amoindrirait le niveau de l’investissement et condamnerait ainsi notre économie à des taux de croissance ne pouvant plus dépasser les 2% du PIB. Dans cet engrenage, la flexibilité du travail deviendrait la seule solution pour lutter contre le chômage. Or, la justification de la flexibilité du travail s’appuie sur une analyse erronée de la situation de l’emploi selon laquelle le chômage serait lié à la rigidité du marché du travail. Le niveau de l’emploi ne se détermine pas que sur le marché du travail mais découle d’abord du niveau de la production marchande et non marchande qui dépend de l’investissement, lui-même dépendant de celui de la demande. Aussi, le meilleur moyen de créer des emplois est d’investir dans la transition écologique, dans l’éducation, la formation, la recherche et le développement, dans les services de la santé et les services sociaux, ainsi que dans les infrastructures de logement et de transport. La hausse des investissements publics permet de réduire le chômage sans précarité. Elle permet aussi, selon les théoriciens de la croissance endogène, de préparer la transition énergétique sans creuser les déficits publics voire même sans augmenter les impôts  ni la dette, grâce à la croissance économique qui en résulte. Notre économie aurait donc intérêt à suivre cette voie. D’autant  plus qu’il est possible selon les recommandations du FMI et de l’OCDE, d’étendre cette politique économique au sein de l’Union Européenne tant les besoins sont criants, notamment en Allemagne où la vétusté des infrastructures publiques s’aggrave, et où la précarité ne cesse de s’accroître. L’investissement public n’est pas une nostalgie Keynésienne, mais bien le moyen d’éviter les risques de l’austérité et de la flexibilité.

11 avr. 2017

Poursuivons et enseignons la pensée de Bernard Maris !

Bernard Maris était un économiste exceptionnel et original. Original car il redonnait sa juste place à l'humain au sein de l'économie considérée comme une science humaine.  
Un grand bravo à Gilles Raveaud pour cet excellent ouvrage sur la pensée de Bernard Maris. Bel hommage et belle approche synthétique et pédagogique de l'œuvre de Bernard Maris. L'économie n'est pas réservée à une élite. On se rendra compte au fur et à mesure de la lecture de l'ouvrage qu'il existe d'autres chemins que ceux présentés par les économistes orthodoxes pour comprendre l'économie. 
Livre à faire lire aux citoyens, aux élèves et aux étudiants. Encore un grand bravo à Gilles Raveaud qui permet à tous de comprendre la pensée de Bernard Maris.

10 avr. 2017

L'avenir de l'Union Européenne


Tirer les économies européennes par les salaires !

La reprise économique en Europe qui s’est engagée en 2014 semblerait s’essouffler au soixantième anniversaire de l’Union Européenne (25 mars 2017). La croissance du PIB était de 1,6% en 2014, elle pourrait passer à 1,4% en 2017 et atteindre 1,3% en 2018. En effet les vents favorables qui avaient permis cette reprise pourraient faiblir à cause de la remontée du prix du pétrole et du ralentissement de la baisse de l’euro malgré la politique expansionniste de la BCE. La remontée de l’investissement reste bien fragile encore aujourd’hui en Europe malgré le plan Juncker, et parait bien insuffisante pour offrir du travail à plus de seize millions de chômeurs.
Si la reprise est toujours là, elle n’est pas suffisante pour retrouver le taux de chômage de 2007 sans qu’aucune nouvelle politique macroéconomique commune ne vienne prendre le relais pour créer une dynamique européenne. La plupart des pays européens de la zone euro ont choisi de tirer leur économie par les profits en poursuivant des politiques de modération salariale pour gagner en compétitivité. Un tel choix ne fait que gripper les moteurs de la croissance en comprimant la demande intérieure. Les dix neuf pays, à défaut d’ajustement par le taux de change, sont contraints de recourir à la dévaluation interne pour relancer l’emploi et la croissance, ce qui ne fait qu’affaiblir davantage la demande intérieure et contraindre les pays de la zone euro à rechercher la croissance par des débouchés extérieurs. Or, chercher à tirer les économies européennes par les profits plutôt que par les salaires est doublement risqué. Dès lors que tous les pays de la zone euro mènent des politiques d’austérité salariale en même temps et collectivement, les échanges extérieurs se neutralisent car les exportations des uns sont les importations des autres.
Risqué aussi, car le développement de la baisse des salaires ou le développement des emplois précaires c'est-à-dire une baisse déguisée des salaires, creuse davantage les inégalités comme en témoignent la hausse de la pauvreté et celle des disparités de revenus qui se propagent en Europe. Le taux de pauvreté est passé dans la zone euro de 16% en 2007 à 17,2% en 2015. Quant au coefficient de Gini mesurant les inégalités des revenus, il est passé de 0,30 en 2007 à 0,38 en 2015. La généralisation de la modération salariale finit par nuire à tous les pays européens. D’un côté, permettant de rétablir les marges des entreprises, cette modération améliore la profitabilité du capital productif et devrait inciter les entreprises à investir. Mais de l’autre, contribuant à la baisse de la demande intérieure, elle réduit le taux d’utilisation des capacités de production des entreprises et freine l’investissement ainsi que la croissance. A défaut de demande intérieure suffisante dans les économies dans lesquelles la part des salaires diminue, les profits d’aujourd’hui ne font pas les investissements de demain ni les emplois d’après demain. Dans ces conditions, il devient plus rentable pour les chefs d’entreprise de placer leurs profits sur le marché financier que d’investir dans l’économie réelle. L’entrepreneur se transforme ainsi petit à petit en un rentier, ce qui affaiblit encore davantage la croissance. Cette transformation enferme les économies dans un cercle vicieux dans lequel : moins de croissance réduit les anticipations de la demande des entrepreneurs, qui à leur tour réduisent les investissements et conduisent à moins de croissance et plus de chômage. C’est pourquoi pour sortir de cette spirale, il devient nécessaire d’augmenter simultanément les salaires au sein de la zone euro et de faire converger cette hausse entre les dix neufs pays afin de relancer l’emploi et la croissance. Les salaires ne sont pas seulement un coût. Ils sont aussi un revenu qui sert de base à la dépense de consommation autrement dit à la demande intérieure. Une relance coordonnée des salaires favoriserait les échanges intra-européens représentant plus de 70% des échanges extérieurs et profiterait à tous les pays membres. De plus, l’augmentation de la demande intérieure inciterait le rentier à redevenir entrepreneur, préférant pour accroître ses profits, investir plutôt que placer. Par son effet multiplicateur, l’investissement créerait un dynamisme macroéconomique garantissant la reprise et la confiance. Cependant cette politique salariale macroéconomique doit faire l’objet d’une règle d’or appliquée à tous et respectée par tous.  Celle-ci fixerait les seuils d’augmentation des salaires indexés à la fois sur l’évolution des prix, de la productivité et de la croissance. Avec cette règle européenne, les pays de la zone euro seraient contraints de conduire de manière coordonnée des politiques salariales convergentes et progressives dans l’intérêt de tous. Ce n’est qu’à cette condition que les gouvernements européens pourront relancer l’emploi et endiguer la poussée du populisme.