6 nov. 2016

Inégalités économiques : le défi de notre système de redistribution

Pour « une taxation accrue des revenus du capital afin que le rentier redevienne entrepreneur »

Les inégalités économiques continuent de se creuser en France et dans les pays développés. Depuis une dizaine d’années dans notre pays, elles sont devenues plus fortes que pour les générations précédentes malgré une baisse ponctuelle du rapport entre le niveau de vie moyen des 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres entre 2012 et 2013. Notre système de redistribution tel qu’il est organisé aujourd’hui en France, consiste à prélever grâce aux impôts et aux cotisations sociales chaque année près de la moitié de la richesse  nationale créée c'est-à-dire sur l’ensemble des revenus primaires versés en contrepartie de la production, pour ensuite la redistribuer sous forme de prestations monétaires ou de services publics (école, santé, sécurité…).
 
Par ce mécanisme, pourra-t-il relever le défi d’une réduction significative des inégalités sociales ?
 
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, la moitié du patrimoine (capital immobilier et capital financier) est détenu par les 10% les plus aisés, les 90% restants se partagent l’autre moitié. Autrement dit il y a une reproduction intergénérationnelle des inégalités économiques.  Le rapport interdécile c'est-à-dire le rapport entre les 10% les plus aisés et les 10% les plus modestes est passé de 6,4 en 2003 à 7,6 en 2012. Les ménages les plus pauvres se sont donc davantage appauvris et les plus riches se sont davantage enrichis. L’indice de Gini, indicateur compris entre 0 et 1, mesurant les inégalités de revenus, confirme cette tendance. Plus il est proche de 0, plus on s’approche d’une égalité des revenus et au contraire, plus il est proche de 1, plus les revenus sont inégaux. Pour notre économie  il est passé de 0,27 en 1990 à 0,29 en 2015. Il est ainsi en légère hausse, signe d’une répartition inégalitaire des revenus plus ou moins contenue malgré un pic en 2013 à 0,30.
 
Plusieurs raisons peuvent expliquer ces inégalités de revenus. La première est liée à la mondialisation de l’économie gouvernée par le libre échange. En effet, face à des économies devenues de plus en plus ouvertes et en compétition les unes contre les autres, les entreprises recherchent à réaliser des gains de productivité soit en comprimant leurs coûts salariaux, soit en flexibilisant davantage le travail. Or cette course effrénée à la recherche de la compétitivité, a précarisé une grande partie des emplois et avec elle, celle des salaires. Ces emplois précaires, de mauvaise qualité, peu rémunérateurs placent fréquemment les travailleurs dans une situation de pauvreté et aggravent ainsi les disparités sociales. De plus, l’exigence de toujours plus de compétitivité, a incité les Etats à réduire leur niveau de fiscalité afin d’attirer des investisseurs et d’éviter une fuite des capitaux, ce qui s’est traduit par un accroissement des très hauts revenus. Quant à la seconde raison, elle trouve son origine dans la faiblesse des taux de croissance  et dans  le choix de la combinaison des facteurs de production (travail et capital) des entrepreneurs. Contraints par les progrès technologiques et numériques, les chefs d’entreprises donnent l’avantage au capital par rapport au travail dans leurs choix de production, ce qui réduit la contribution du travail à la croissance et donc du revenu versé en contrepartie. La part du revenu du capital a tendance à augmenter  du fait de sa plus forte contribution à la production contrairement à celle du travail. Or comme l’a si bien démontré Thomas Piketty dans le capital au XXI siècle, lorsque le rendement du capital devient supérieur au taux de croissance, la rente se substitue progressivement  au rendement car le placement devient plus profitable que l’investissement. L’entrepreneur se transforme ainsi en rentier. Il s’enrichit davantage sans une véritable hausse de la production en contrepartie, creusant ainsi les inégalités entre le revenu du travail et le revenu du capital. Dans ces conditions, plus la fortune des très hauts revenus s’accroît moins la croissance devient forte. Et moins la croissance devient forte, plus le chômage augmente et plus celui-ci augmente, plus les inégalités s’aggravent.
Notre système de redistribution fondé sur la solidarité sociale, peut-il mettre fin à cette spirale inégalitaire dans un contexte de faible croissance ?
S’il parvient à ralentir cette spirale grâce aux effets redistributifs des allocations et des services publics sur le revenu final des ménages comme le confirme l’indice de Gini qui est passé en 2014 de 0,497 avant redistribution, ce qui désigne une situation très inégalitaire à 0,292 après redistribution, ce n’est pas pour autant que les inégalités se réduisent réellement.
Dans une conjoncture morose, son dispositif serait devenu trop coûteux en prélèvements et trop généreux en aides sociales enfermant trop souvent leurs bénéficiaires dans l’assistanat et aurait donc atteint ses limites. C’est pourquoi il devient nécessaire de renforcer la redistribution verticale grâce à une taxation accrue des revenus du capital afin que le rentier redevienne entrepreneur. Cela relancerait la croissance et l’emploi et permettrait d’augmenter le niveau de vie des classes moyennes et populaires qui tirent la croissance économique. Mais pour que la taxation de la rente soit effective, il faut harmoniser nos systèmes fiscaux au niveau européen pour éviter l’évasion fiscale. De plus il faut réduire en priorité les inégalités des revenus primaires en mettant en œuvre une régulation sociale dans la formation de ces revenus afin de rendre ensuite, la redistribution moins coûteuse et plus efficace. C’est à ces conditions que la justice sociale et l’efficacité économique redeviendront complémentaires. Des propositions concrètes existent pour relever le défi des inégalités, reste à forger une volonté politique nationale et européenne. Or trouver un accord politique sur ces deux niveaux serait porteur d’espérance et réconcilierait les citoyens avec la solidarité redevenue légitime.
 

3 oct. 2016

L'économie : science expérimentale ?

Pierre Cahuc et André Zylberberg :"L'économie est une science expérimentale. Les deux économistes publient "Le négationnisme économique: comment s'en débarrasser", et suscitent un débat virulent parmi les économistes français.  :

écoutez le débat avec un économiste hétérodoxe sur France Inter : https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-13-septembre-2016  Pourquoi vouloir se débarrasser des analyses macroéconomiques qui sont pourtant aussi empiriques que la microéconomie ? Faut-il désormais se débarrasser de la pensée de Keynes ?  Il faut lire le très bon article de christian Chavagneux : http://www.alterecoplus.fr//negationnisme-economique-laffaire-cahuc/00012140 ainsi que celui de Sandrine Foulon : http://www.alterecoplus.fr/les-35-heures-le-negationnisme-et-les-economistes/00012144.
 Finalement ces deux auteurs orthodoxes  empêchent le débat économique et appauvrissent ainsi la recherche en économie en oubliant trop souvent que l'économie doit être au service de l'homme  ! Comment peut-on dire que J.M. Keynes, ou encore que Bernard Maris étaient des négationnistes ?

voir aussi ci dessous : pour mieux comprendre la fragilité scientifique de ces deux auteurs refusant le débat économique avec d'autres chercheurs...

 


Gaël Giraud : "Les économistes orthodoxes n'ont... par franceinter
 Donc :








10 sept. 2016

Les inégalités

Alexandra Bensaid reçoit le britannico-américain Angus Deaton, prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel en 2015, à l'occasion de la publication en français de son dernier ouvrage "La Grande Evasion. Santé , richesse et origine des inégalités" aux Presses Universitaires Françaises. Un livre dans lequel Angus Deaton analyse ce mouvement du capitalisme qu'il appelle évasion : mouvement qui, s'il a permis à une partie de l'humanité de "s'évader de la misère", s'est fait "au prix d'inégalités flagrantes entre pays et populations". Entretien traduit par Eve Dayre.
► ► ► À revoir en vidéo ici : https://www.franceinter.fr/emissions/on-n-arrete-pas-l-eco/on-n-arrete-pas-l-eco-10-septembre-2016

25 juin 2016

BREXIT : le risque d'une Europe des Etats désunis ?

Les Britanniques ont choisi de sortir de l’Union Européenne et de faire cavalier seul face à la mondialisation et à l’essor des pays émergents. La souveraineté britannique pourra-t-elle redevenir aussi forte que celle qui a dominé durant le 19ième siècle ? Depuis, la configuration du monde a bien changé. Il est devenu aujourd’hui nécessaire de s’unir et de coopérer afin de faire face aux nouveaux enjeux de la mondialisation. Pourtant le peuple britannique a choisi de se désunir de l’Union Européenne le 23 juin 2016 par référendum. En Grande Bretagne, plus on est âgé et plus on est précaire, plus on rejette le projet européen. La faute principale n’incombe pas au peuple souverain qui a exprimé démocratiquement et clairement son rejet de l’Union Européenne. Elle n’incombe pas non plus aux Nationalistes prônant le repli identitaire comme la solution miracle à la pauvreté, au chômage et aux inégalités sociales. La faute principale revient à l’Union Européenne elle-même !
En dépit de tous les avertissements, de toutes les critiques, de la montée en flèche du populisme, et en dépit aussi de tous les signes économiques peu encourageants depuis 2008 : faible croissance économique, chômage récurrent, risque déflationniste, inégalités sociales croissantes et précarité de la population active, elle a poursuivi son chemin dans une logique ultralibérale privilégiant davantage les intérêts des lobbies financiers , ceux des multinationales à ceux des citoyens. L’Europe des marchés, de la finance, des normes, de la concurrence libre et non faussée, celle des critères budgétaires et de la flexibilité du travail, ne fait rêver plus personne, bien au contraire. Les classes populaires ainsi que les classes moyennes ne croient plus à l’Europe. Elles se tournent de plus en plus vers la Nation comme le seul rempart aux excès de la mondialisation de l’économie. Elles se replient sur leur identité ou encore sur leurs racines historiques ou religieuses devenues désormais leur seul patrimoine à défaut d’un patrimoine économique prospère !
Le Brexit encourage et renforce le Nationalisme. Si les gouvernements des 27 pays membres continuent de préférer l’exploit solitaire à l’exploit solidaire dans le processus européen, le Nationalisme pourrait vite s’étendre et justifier la sortie d’autres pays de l’Union Européenne.
Les gouvernements européens se sont trop souvent servis de l’Europe plutôt que de la servir. Ils ont petit à petit obscurci son utopie historique et ont amoindri son union en choisissant son élargissement à celle de son approfondissement.
Faut-il pour autant tourner définitivement le dos à l’Europe et interrompre sa longue marche intégrative ? C’est la tendance qui domine aujourd’hui dans la plupart des pays du continent. Les dirigeants européens ont rendez-vous avec l’histoire. Ayant raté celui de 2008 en refusant l’opportunité de réaliser un New Deal européen, ils ne devront pas manquer celui de 2016. Si l’on croit encore à cette grande œuvre commune civilisationnelle, à cette construction unique dans le monde qui assure la paix et la démocratie sur un continent, il faut très rapidement instaurer une gouvernance économique et sociale de la zone euro pour relancer l’économie et mettre fin définitivement au dumping social et fiscal. Il faut aussi surtout une gouvernance politique associant les citoyens à la construction du projet européen avec 27 pays en donnant un réel pouvoir de décision au Parlement européen. Ce n’est qu’à ces conditions que l’Union Européenne pourra poursuivre son parcours en restant unie. Or, à défaut d’actes à la hauteur de l’évènement, l’Union Européenne pourrait vite devenir l’Europe des Etats désunis !

8 juin 2016

Compétitivité : l'idéologie de la prospérité !


Désindustrialisation, déficit commercial, faible croissance et chômage récurrent sont les signes de la perte de compétitivité de l’économie française. Du rapport Attali (2008) au rapport Gallois (2012), de la loi Macron (2015) à la réforme du code du travail (2016), la compétitivité revient, tel un leitmotiv, dans le débat public. Elle apparait comme un objectif prioritaire des politiques économiques de tous les gouvernements.La compétitivité, c'est-à-dire la capacité à acquérir des parts de marché, s’obtient de deux manières : soit par les prix ou soit par la qualité des biens et services proposés sur les marchés.La première, fondée sur l’agressivité tarifaire, est qualifiée de compétitivité prix. La seconde, fondée sur la qualité, est dénommée compétitivité hors prix. Ces deux formes de compétitivité sont les conditions essentielles pour affronter avec succès la concurrence et développer la demande intérieure et extérieure. Elles sont aussi la condition du retour de la croissance et du plein emploi. Leurs implications sont cependant très différentes. C’est pourquoi le choix entre la productivité et la qualité de la main d’œuvre et des produits, divise toujours les économistes et les responsables politiques. Ces différents indicateurs reposent sur des analyses divergentes de la compétitivité et conduisent à des stratégies de croissance dissemblables. Leur mise en œuvre n’a pas les mêmes effets sur l’économie. Si l’objectif est de rétablir la compétitivité prix, il devient nécessaire de réduire le coût du travail (salaire brut + cotisations sociales patronales) et d’engager des réformes structurelles du marché du travail. Cela incite les entreprises à rechercher des gains de productivité soit en allongeant le temps de travail sans modifier les salaires grâce à des accords d’entreprise dérogeant à la durée légale du travail, soit en délocalisant leur production. Le risque est grand que chaque entreprise impose ses règles par un chantage à l’emploi. Il est d’autant plus grand, qu’il pourrait se retourner contre elles au niveau macroéconomique en réduisant la demande globale. Cette recherche accrue de  la compétitivité prix à travers la dévalorisation du travail tend à opposer les intérêts de ceux qui achètent aux intérêts de ceux qui produisent, oubliant au passage que ceux qui produisent et qui achètent sont les mêmes agents économiques, dénommés autrement. Il s’agit là d’une stratégie économique selon laquelle la réduction des droits sociaux serait le levier de la compétitivité favorisant l’activité économique. Cette  stratégie qui suppose un délitement de la cohésion sociale fait naître un nouveau modèle de croissance : précarité-compétitivité-prospérité, vers lequel s’orientent de plus en plus les pays européens au risque d’aggraver les inégalités.Or les gains de compétitivité peuvent être obtenus par d’autres moyens et être à l’origine d’un autre modèle de croissance.
Si l’objectif est de rétablir la compétitivité hors prix, alors misons sur la qualité partout !
Face au déclin de la compétitivité et à la concurrence des pays émergents, la qualité des produits et services, le niveau de qualification et de formation des salariés ainsi que l’innovation sont les conditions essentielles pour acquérir un avantage concurrentiel. Le rétablissement de la compétitivité hors prix passe non seulement par un investissement accru dans la recherche et développement mais aussi par une montée en gamme de tout notre appareil productif en suivant l’exemple de l’industrie du luxe et de l’industrie de défense. Au-delà du luxe et de l’industrie de défense, la démarche fondée sur la qualité doit être présente sur toute la chaîne de valeur de notre système productif et être transversale à toute activité industrielle ou de service. Pour amplifier cette montée en gamme, il est nécessaire de valoriser les ressources humaines et d’améliorer la qualification des salariés les moins qualifiés car il ne peut y avoir de qualité sans qualification. Cette recherche de la compétitivité par la qualité permet aux entreprises d’échapper à la concurrence par les prix et d’impliquer pleinement les salariés dans la création de la valeur ajoutée dans chaque produit ou service. Elles seront ainsi incitées à se concurrencer en améliorant la situation des salariés. Il s’agit là, d’une stratégie selon laquelle le capital humain deviendrait le tremplin de la compétitivité. Cette stratégie qui suppose la participation de toutes les parties prenantes au développement de l’entreprise et de celle de l’Etat-Providence à celui de l’éducation et de la formation,  pourrait faire naître un nouveau modèle de croissance : qualité-compétitivité-prospérité, vers lequel les économies européennes devraient s’engager afin de renforcer leur coopération pour le bien être de tous.
D’une manière générale, une politique de baisse du coût du travail ne peut pas être l’unique réponse à la baisse de la compétitivité de notre économie. Les salaires sont élevés dans les pays industrialisés parce qu’ils ont été compétitifs. Or aujourd’hui, la concurrence des pays émergents ou celle des pays européens à bas salaires nous oblige à développer la qualité qui nous permettrait de continuer de faire progresser nos salaires et nos droits sociaux. Préconiser uniquement une baisse du coût du travail reviendrait à renoncer à la compétitivité hors prix pour renforcer la compétitivité-prix et donc à choisir la précarité à la qualité pour gagner des marchés. La compétitivité deviendrait ainsi une idéologie à partir de laquelle se construit un modèle de prospérité et de société.

Compétitivité : l'idéologie de la prospérité !