15 nov. 2014

Moins de prélèvements obligatoires pour plus de croissance : un mythe économique mais une réalité sociale !

Devant l’envolée des déficits publics et de la dette publique accompagnée d’une pression fiscale devenue optimale, le diagnostic est dit-on, sans appel : les Etats européens et plus particulièrement la France, doivent « imposer moins et dépenser moins ».
Au nom de ce dogme économique de l'économie classique, les gouvernements affirment inlassablement qu’il serait bon de réduire les prélèvements obligatoires. Ceux-ci représentent en 2014 dans notre économie, plus de 46% du P.I.B. et pèsent lourdement sur la croissance en affaiblissant l’offre. Les entreprises sont devenues moins compétitives, ont du mal à remplir leurs carnets de commandes et peinent donc à trouver des débouchés. Dans ces conditions, elles ne peuvent ni produire davantage, ni créer des emplois.
Les impôts directs et indirects ainsi que les cotisations sociales sont principalement considérés comme une charge qu’il faut réduire pour que nos entreprises puissent retrouver plus de compétitivité et produire plus. Ils sont aussi un moyen de financer notre protection sociale et nos services publics.
La question du niveau des prélèvements obligatoires est donc celle d’un choix économique entre l’offre et la demande et aussi, celle d’un choix de société entre solidarité et individualisme.
L’Etat s’est engagé à les réduire à travers le pacte de responsabilité et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Il a choisi de pousser la croissance par l’offre plutôt que de la tirer par la demande.
Un tel choix économique est à la fois audacieux et risqué.
Audacieux car d’une part la baisse des prélèvements obligatoires ne garantit pas nécessairement une diminution des prix et donc une meilleure compétitivité. Une baisse des cotisations sociales patronales  ne permet pas à nos entreprises d’aligner leurs prix sur ceux des entreprises des pays émergents. L’écart social entre ces pays et le nôtre rend impossible et insoutenable toute compétitivité prix.
D’autre part, les entreprises bénéficiant de ces allègements fiscaux, préfèrent avant- tout, accroître leur taux de marge et ce n’est pas parce qu’elles ont restauré leurs marges, qu’elles vont investir. Les profits sont une condition nécessaire à l’investissement, mais ils ne sont pas une condition suffisante. Le déterminant substantiel de l’investissement et de l’emploi reste la demande. C’est elle qui remplit le carnet de commandes des entreprises et les incitent à investir, à augmenter leur production et à créer des emplois.
Cette baisse est également risquée, puisqu’elle contraint l’Etat Providence à réduire le niveau des revenus sociaux versés aux ménages les plus modestes et creuse davantage les inégalités de revenus. Cette diminution du pouvoir d’achat des ménages affaiblit la consommation et fragilise la cohésion sociale.
De plus, faute de ressources fiscales suffisantes, l’Etat se voit obligé de diminuer les dépenses publiques afin d’éviter d’aggraver ses déficits.  Or, l’impôt sert à financer des dépenses publiques, elles-mêmes très utiles à la croissance économique.
Moins d’impôts, c’est moins de main d’œuvre qualifiée, moins de santé, moins de connaissances, de recherche, d’innovation et de progrès technique, donc moins de compétitivité et de croissance à terme. Sa réduction, selon la théorie de la croissance endogène, provoque celle des dépenses publiques qui par son effet démultiplicateur ralentit à la fois le niveau de la demande et celui de l’offre pénalisant ainsi la croissance.
L’offre, malgré ces allègements fiscaux et sociaux, ne peut parvenir sans le soutien de la demande, à relancer la croissance. C’est le cas de la France aujourd’hui, qui a du mal à atteindre des taux de croissance supérieurs à 1%.
Alors « imposer moins et dépenser moins » pour doper la croissance,  serait-il un  mythe ?
Malgré ses risques, l’idée de payer moins d’impôts et de cotisations sociales nous réconforte toujours. Pourtant le taux de prélèvements obligatoires est l’un des meilleurs indices du degré de solidarité nationale et permet à tous de bénéficier d’une protection sociale et d’accéder à l’Education gratuitement.
Cette diminution est révélatrice d’un choix de société. Elle cimente petit à petit l’idée que notre système social est devenu aujourd’hui trop coûteux et inefficace. Elle prive l’Etat-Providence de ressources, de telle sorte que même ceux qui en ont le plus besoin acceptent implicitement son désengagement progressif, faisant naître chez les ménages, le sentiment de payer toujours trop pour une redistribution en contrepartie peu significative. Elle légitime ainsi  le chacun pour soi. « Pourquoi payer pour les autres » ? En cette période d’austérité la perte du paiement solidaire justifie la régression sociale désignée comme un mal nécessaire pour rétablir la croissance et l’emploi pour tous. Ce recul est d’autant plus accepté que l’effort collectif se laisse absorber petit à petit par l’égoïsme social dans lequel l’exploit solitaire se substitue à la réussite solidaire. Le mythe économique pourrait ainsi devenir progressivement une réalité sociale !