13 mai 2012

Croissance ou Rigueur : le dilemme européen !

Dans un contexte où une récession chasse l’autre avant même que la croissance ait pu repartir, les enseignements de la crise de 2008 semblent oubliés. La surenchère des plans d’austérité en a rapidement éclipsé une autre : celle de l’automne 2008 où les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro se rependaient en déclarations de bonne volonté sur les thèmes de la régulation des marchés financiers.

Tous expliquaient alors que le sauvetage des banques aurait pour contrepartie leur stricte régulation. En France, les revues économiques titraient sur la revanche de Keynes et même dans le monde financier on semblait moins perméable aux arguments des bienfaits de la dérégulation. Depuis, les traders ont retrouvé leurs bonus, les spéculateurs leur cupidité et les banques leurs profits. Les Etats, quant à eux, se sont terriblement endettés pour sauver une finance à la dérive et une croissance atone. Et voilà que les rescapés d’hier appellent aujourd’hui à l’austérité budgétaire et à la flexibilité du travail, sans même se soucier de la croissance de demain. Leur vision court-termiste précipite les Etats dans une spirale déflationniste dont aucun agent économique ne sortira indemne.

Naturellement, la réduction des déficits budgétaires à moyen terme est indispensable. Les Etats ne peuvent conserver indéfiniment des taux d’endettement élevés au point que la charge de la dette se hisse parmi leurs premiers postes de dépenses budgétaires. Mais la réduction des déficits ne peut être mise en œuvre efficacement que dans un contexte de croissance solide et stable.

L’Europe s’est engagée trop tôt dans le pari de l’austérité. Elle fait courir le risque d’étouffer la croissance et d’enliser l’économie dans un chômage de masse. Elle précipite son économie dans ce cercle vicieux où la rigueur appelle la rigueur. Et, où la dérèglementation sociale accentue la précarité sociale et attise les poussées extrémistes.

Neuf pays européens sont depuis entrés en récession, la France pourrait très vite rallonger la liste. A l’inverse, ce n’est qu’en pariant, sur une politique commune de croissance et de l’emploi souhaitée par la France, que les pays européens remettront les finances publiques en ordre et rétabliront la confiance des investisseurs. Le salut ne peut venir que d’un New-Deal européen permettant le retour de la croissance et de l’emploi, certainement pas en prenant le risque d’une austérité généralisée. Devant l’échec de l’austérité européenne, l’Europe souhaiterait enfin s’engager sur les chemins de la croissance. Cependant elle semble vouloir faire le choix d’une relance par la politique de l’offre, fondé sur ces postulats que l’assainissement comptable de l’Etat et que la dérèglementation du marché du travail, sont les conditions sine qua non à la reprise de toute croissance durable.
Or la récession qui gagne l’Espagne et le Royaume-Uni montre que ces postulats ne fonctionnent pas. La précarité ne peut pas garantir une croissance forte. La rigueur est incompatible avec le redémarrage de l’activité économique.
Aujourd’hui, l’Europe semble pourtant en suivre aveuglément les préconisations comme si l’offre pouvait à elle seule, être le seul moteur de la croissance.

7 mai 2012

Compétitivité : un engrenage conflictuel

Dans le contexte international actuel, notre modèle social devient de plus en plus coûteux et pèse sur la compétitivité-prix des entreprises qui ont du mal à gagner des parts de marché avec des coûts de travail supérieurs à leurs concurrents étrangers. Elles sont alors tentées de considérer les salaires uniquement comme un coût, et non plus comme la condition des débouchés de leur production.
La protection sociale est, elle aussi, victime du même préjugé qui la présume, à tort, attentatoire à la compétitivité, sans envisager un seul instant qu’elle puisse être une richesse nationale.

Face à la vivacité de la concurrence des pays émergents, et en particulier face à celle de la Chine qui affiche des coûts du travail très faibles, n’admet aucun mécanisme de protection sociale fut-il sommaire et pratique le dumping monétaire, nos industries des secteurs du textile et de l’équipement ménager ont toutes fermé. D’autres, se sont délocalisées, provoquant la désindustrialisation de certaines régions où la disparition des filières industrielles a considérablement aggravé le chômage et le déficit du commerce extérieur.
Le coût du travail serait, à lui seul, responsable du déclin industriel et de la hausse du chômage.
Cette idée reçue conduit notre économie en quête de compétitivité dans une spirale conflictuelle qui oppose les producteurs et les salariés. Le chantage à la délocalisation comme mode de révision à la baisse des salaires, pourrait alors devenir l’alternative au chômage.
Faudrait-il alors accepter, au nom de la compétitivité, une modération des salaires ou une précarité sociale pour maintenir l’emploi sur le territoire ?
Cette recherche accrue de la compétitivité- prix par les entreprises à travers la dévalorisation du travail, tend à opposer les intérêts de ceux qui achètent aux intérêts de ceux qui produisent, oubliant au passage que ceux qui produisent et qui achètent sont les mêmes agents économiques dénommés autrement.
Les entreprises appartenant à des grandes enseignes qui veulent maintenir leur marge et satisfaire des clients dont les revenus sont comprimés en raison de la compétitivité, achètent des produits étrangers pour ensuite les distribuer sur le marché intérieur si bien que le « Made in China » se substitue progressivement au « Made in France ».
Les consommateurs n’auraient d’autre choix, pour maintenir leur pouvoir d’achat, que de préférer des produits importés aux produits fabriqués en France, certes de meilleure qualité, mais plus chers.
Cette substitution est désormais devenue une évidence dans un contexte où la production domestique a soit disparu, soit été fortement réduite. Les consommateurs sont contraints d’acheter des produits délocalisés au détriment de l’emploi en France. En consommant ces produits importés moins chers, les salariés, en tant que consommateurs, contribuent à la suppression de leurs propres emplois sans même sans s’en rendre compte.
Cette course effrénée à la compétitivité précarise le travail, incite les ménages à consommer moins cher, obligeant ainsi les entreprises à produire encore moins cher en comprimant davantage leurs coûts salariaux pour satisfaire les besoins des ménages.
Elle constitue un cercle vicieux qui dresse les salariés contre les consommateurs ou autrement dit, les salariés contre eux-mêmes.
En omettant que les salariés sont aussi des consommateurs, ce cercle vicieux dans lequel les prix peu élevés conduisent à des salaires peu élevés qui entraînent une consommation timide et qui débouche sur des délocalisations faute d’un niveau de consommation suffisant, est à l’oeuvre.
Il enclenche cet engrenage conflictuel où plus de compétitivité entraîne moins de débouchés. Quel paradoxe !

A cause de ses effets contradictoires, cette compétitivité n’est plus adaptée à la gravité de la situation économique. Car, sans normes sociales et monétaires mondiales minimales, le libre échange fausse la concurrence et menace gravement les modèles sociaux des Etats industrialisés, et plus particulièrement celui de la France.
Au contraire, la compétitivité-prix ne sera efficace économiquement et socialement, que si elle se fonde sur une concurrence équitable à défaut de règles sociales communes entre les Etats.
Cependant, ces règles seront longues à construire et n’auront de vertus, que si parallèlement sont mises en œuvre au niveau national des politiques publiques stimulant le rouage de la compétitivité hors-prix basée sur la qualité, l’innovation et la formation.
Alors pourquoi ne pas préférer cet engrenage structurel au conflictuel ?